Section 2 du Zhou Yi Lue Li : Analyse

” Explications sur les Lignes pour comprendre les Changements ”


 

Par-delà les méthodes

La pre­mière sec­tion posait les rudi­ments d’une tech­nique raison­née de div­ina­tion. Nous avions tout par­ti­c­ulière­ment dis­tin­gué lors de son analyse :

A – des élé­ments

B – des proces­sus

A – Elé­ments : Cette sec­onde sec­tion n’ap­porte pas de nou­veaux élé­ments et ne les définit pas davan­tage non plus. Son titre pour­rait laiss­er croire que les “lignes” vont être étudiées dans le détail, mais la qua­si-total­ité du texte traite des caus­es, con­di­tions, natures et impli­ca­tions des change­ments. La réal­ité con­siste alors davan­tage à des “Expli­ca­tions sur les change­ments pour com­pren­dre les lignes”.

B – Proces­sus : Con­cer­nant les proces­sus qua­si­ment rien ne sem­ble don­né au niveau 2 (tech­niques d’analy­ses graphique ou textuelle). Le niveau 3 (syn­thèse) n’est par con­séquent pas non plus très dévelop­pé. La majorité des chapitres se situe alors au niveau 1 (reg­istre des proces­sus descrip­tifs). Ces asser­tions ne sont pas des pro­duc­tions per­son­nelles de Wang Bi, mais une sélec­tion de notions en prove­nance des divers courants de pen­sée de l’époque, matières pre­mières à par­tir desquelles il forge son sys­tème.

Après la belle rigueur méthodique de la pre­mière sec­tion, les lecteurs à la recherche de pré­ci­sions ou con­clu­sions div­ina­toires seront peut-être, à pre­mière lec­ture, déçus par ce qui ne sem­ble alors qu’une sim­ple suc­ces­sion de principes généraux…

Mais rap­pelons sim­ple­ment l’év­i­dence : nous étu­dions le “Clas­sique des Change­ments”. Il est donc pri­mor­dial de pré­cis­er ce que sont les change­ments. Tech­niques et pré­ci­sion div­ina­toire n’en seront ensuite que plus effi­caces.

Nous ver­rons surtout que par essence les change­ments “se définis­sent en défini­tive” par ce qu’ils ne sont pas

Cadre

Le fond cor­re­spond à la forme : la sec­tion est encadrée (nous ver­rons tout au long de cette étude l’importance de la notion de “lim­ites”) par les deux pre­mières lignes du pre­mier chapitre et les deux lignes du dernier chapitre :

Qu’est-ce que les lignes ?

Elles expri­ment les change­ments […]

[…] En vérité les hexa­grammes con­sid­èrent le moment

et les lignes aver­tis­sent des change­ments.

Wang Bi dis­tingue deux formes graphiques majeures :

  • l’hexa­gramme, qui cor­re­spond à une péri­ode de sta­bil­ité (état ou mou­ve­ment)
  • les lignes, qui con­stituent les prémices des change­ments : elles sont les points d’in­flex­ions à par­tir desquels la sit­u­a­tion ou le mou­ve­ment sta­bles représen­tés par l’hexa­gramme évolu­ent vers une autre sit­u­a­tion.

Il posait, à la pre­mière sec­tion, à pro­pos de l’hexa­gramme un ensem­ble de repères et une méthodolo­gie pour décrire la dynamique de la sit­u­a­tion présente. Plus tard la troisième sec­tion établi­ra des liens pra­tiques entre hexa­grammes, lignes et change­ments.

Le texte que nous analysons aujour­d’hui est bien dif­férent : il s’ag­it d’une descrip­tion en pro­fondeur des proces­sus du change­ment. En réal­ité, bien qu’il pose claire­ment  la délim­i­ta­tion “hexagramme/situation sta­ble” “lignes/prémices des change­ments”, le mes­sage prin­ci­pal de Wang Bi est plus fon­da­men­tal :

La com­préhen­sion intime des principes à la base des change­ments est plus impor­tante que la “cui­sine” des analy­ses graphiques ou textuelles.

Efficacité du non-faire

Ain­si immé­di­ate­ment après une pre­mière sec­tion qui sem­blait une recom­po­si­tion aver­tie d’in­gré­di­ents et de recettes prélevés dans les cou­tumes de la péri­ode Han, il y a une néga­tion rad­i­cale de cette approche du “faire”…

De bril­lants ana­lystes ont judi­cieuse­ment observé que la notion cen­trale de wu wei “non-agir” était abon­dam­ment traitée dans les com­men­taires de Wang Bi sur le Dao De Jing, mais sem­blait qua­si­ment absente de son étude sur le Yi Jing. Le Dao De Jing est, selon l’opin­ion générale, un traité philosophique, alors que la voca­tion div­ina­toire du Livre des Change­ments le place a pri­ori au ray­on des ouvrages “pra­tiques”. Il est donc cohérent que cette notion soit “dis­cutée” dans le Dao De Jing et “mise en œuvre” dans le Yi Jing. …Le para­doxe rési­dant pré­cisé­ment dans la dif­fi­culté à “met­tre en œuvre le non-agir” !

Selon Wang Bi la bonne com­préhen­sion des principes est éminem­ment supérieure, bien plus “effi­cace”, que l’ap­pli­ca­tion des recettes. Cela sera repris à la sec­tion 4 lors de la dis­cus­sion sur les images, les mots et l’idée :

[…] C’est pourquoi puisque les mots met­tent en lumière l’image,

une fois l’image com­prise, on peut oubli­er les mots.

Et puisque l’image con­tient l’idée,

une fois l’idée com­prise, on peut oubli­er l’image. […]

[…] Ain­si se propa­gent telle­ment de fauss­es expli­ca­tions qu’il est dif­fi­cile de les réper­to­ri­er ! […] 

[…] Une fois per­du le principe orig­inel, plus on se sur­passe en habileté plus on s’éloigne du sens. […]

Wang Bi n’a aucun dédain pour la div­ina­tion. Il s’op­pose cepen­dant avec fer­meté à la perte de qual­ité et à l’av­ilisse­ment pro­gres­sif du Yi Jing par de « petits cal­culs ». C’est pré­cisé­ment le geste de retour au principe orig­inel qui élève le Livre des Change­ments au rang de pra­tique philosophique.

 

Premier chapitre

Qu’est-ce que les lignes ?

Elles expri­ment les change­ments

Qu’est-ce que les change­ments ?

Il s’agit de change­ments d’état ou de mou­ve­ment

qu’il n’est pas pos­si­ble de dénom­br­er.

Parce que réu­nion et dis­per­sion, con­trac­tion et dilata­tion s’opposent dans une même entité,

une apparence agitée affec­tionne le calme ;

une nature sou­ple appré­cie la fer­meté.

Forme et ten­dance sont invers­es ;

nature et voca­tion s’écartent.

Trois souffles

夫 爻 者 何 也

Qu’est-ce que les lignes ?

言 乎 變 者 也

Elles expri­ment les change­ments

變 者 何 也

Qu’est-ce que les change­ments ?

La même for­mule 者何也 zhě hé yǐ intro­duit ici la ques­tion “Qu’est-ce que les lignes ?”, celle au début de la sec­tion 1 : “Qu’est-ce que le Juge­ment ?” et ici en troisième ligne : “Qu’est-ce que les change­ments ?”.

A la sec­onde ligne “Les lignes expri­ment les change­ments”, nous traduisons par “expri­ment” les deux mots  yán “parole ferme (graphique­ment un homme qui se tient droit et qui par­le)”, et   “emphase, procla­ma­tion, ordre ou invo­ca­tion” dont les formes archaïques mon­trent un cad­ran solaire d’où sor­tent trois traits sym­bol­isant un souf­fle. A la toute dernière phrase de la sec­tion nous ver­rons que “les lignes aver­tis­sent des change­ments”. L’aver­tisse­ment shì “augure” con­te­nait lui-aus­si ini­tiale­ment 3 traits ver­ti­caux, mais ils représen­taient les trois entités célestes soleil-lune-con­stel­la­tions. Ce rap­port à l’as­trolo­gie con­duira à une tra­duc­tion plus proche du pronos­tic div­ina­toire.

Pour­suiv­ons avec le chiffre 3 : trois notions en rap­port avec la nature des change­ments sont alors énon­cées :

情 偽 之 所 為 也 夫 情 偽 之 動

Il s’agit de change­ments d’état ou de mou­ve­ment

 

非 數 之 所 求 也

qu’il n’est pas pos­si­ble de dénom­br­er.

1 — change­ment d’état : le mot chi­nois désigne un endroit ou une posi­tion. L’hexa­gramme représen­tant une sit­u­a­tion sta­ble, le change­ment désigne ce qui fait pass­er d’un état sta­ble à un autre.

2 — change­ment de mou­ve­ment : le mot chi­nois sig­ni­fie un mou­ve­ment, une action ou une émo­tion. L’hexa­gramme peut égale­ment représen­ter un mou­ve­ment con­stant : dans ce cas le change­ment mod­i­fie le mou­ve­ment ou son allure. Il s’ag­it alors d’un change­ment …de change­ment.

3 — impos­si­bil­ité de dénom­br­er : le dic­tio­n­naire Ric­ci dit du car­ac­tère shuò : “Organ­i­sa­tion numérique, reflet de l’ordre naturel, qui déter­mine la con­sti­tu­tion et les qual­ités pro­pres de chaque être”. Sont donc évo­quées ici les vari­a­tions per­son­nelles de chaque indi­vidu indépen­dam­ment de ses appar­te­nances et orig­ines. Nous retrou­vons ain­si le thème de lǐ la voie naturelle indi­vidu­elle.

Ces trois notions cor­re­spon­dent bien aux trois entités astrologiques : sta­bil­ité cen­trale solaire, mou­ve­ment et émo­tions lunaires, mul­ti­plic­ité des con­stel­la­tions…

 Oppo­si­tion sym­pa­thique forme/tendance

故 合 散 屈 伸 與 體 相 乖

Parce que réu­nion et dis­per­sion, con­trac­tion et dilata­tion s’opposent dans une même entité,

Avec “cause, parce que” est intro­duite la descrip­tion de la cause des change­ments. Son com­posant de droite gǔ sig­ni­fie “ancien, antique, l’en­seigne­ment des anciens”, celui de gauche  mon­tre “une action manuelle, une main ten­ant une baguette”. Cela évoque bien l’héritage des enseigne­ments anciens. Sont alors intro­duits deux cou­ples de dynamiques antag­o­nistes appar­tenant au même “corps” : le pre­mier “réu­nion et dis­per­sion” décrit des élé­ments mul­ti­ples qui con­ver­gent ou s’é­car­tent d’un cen­tre ; le sec­ond “con­trac­tion et dilata­tion” con­cerne un seul élé­ment qui se replie ou se déploie, telle la che­nille déjà évo­quée dans le Grand Com­men­taire (chapitre 5 de la six­ième Aile).

une apparence agitée affec­tionne le calme ;

Mais que l’on par­le d’une entité indi­vidu­elle ou d’un col­lec­tif la règle de fonc­tion­nement est la même : l’ ”oppo­si­tion sym­pa­thique” est due à une dif­férence de niveau de per­cep­tion. Wang Bi ne com­pare pas “calme” avec “agi­ta­tion” mais avec “apparence agitée”. Il dif­féren­cie ain­si “dynamique interne” et “apparence de dynamique”.

une nature sou­ple appré­cie la fer­meté.

De même ce n’est pas la “sou­p­lesse” qui appré­cie la fer­meté, mais une “nature sou­ple”. Ce que l’on traduit ici par “nature”  zhí est com­posé en bas de  bèi “cau­ris, valeur” et en haut de 斤斤 yín “deux haches qui expri­ment la per­spi­cac­ité et le sens du détail”. Il s’ag­it donc de la “sub­stance matérielle” à son niveau le plus pro­fond. De cette sub­stance émerge des car­ac­téris­tiques : elle pos­sède soit une qual­ité de sou­p­lesse, soit une qual­ité de fer­meté. Une matière “est”, sans rel­a­tiv­ité. Con­sid­érée à un autre niveau, donc selon son aspect, elle est “plus ou moins” sou­ple ou ferme.

Forme et ten­dance sont invers­es ; nature et voca­tion s’écartent.

La dynamique des change­ments pro­duite entre deux entités dif­férentes provient de la diver­gence fon­da­men­tale inscrite dans chaque entité entre son état sta­ble et son mou­ve­ment, qui en toute logique l’é­carte de sa forme ini­tiale. S’en détour­nant il se rap­proche, et sem­ble donc attiré, par ce qui est d’aspect dif­férent.

 

Deuxième chapitre

Les cal­culs les plus ingénieux ne peu­vent en déter­min­er le nom­bre ;

les sages les plus per­spi­caces ne peu­vent en résumer les règles.

Ils sont pré­cisé­ment ce que les lois ne peu­vent uni­formiser,

ce que les mesures ne peu­vent réguler.

Ils provi­en­nent assuré­ment de quelque chose de grand !

Un chef des armées peut red­outer l’étiquette de la cour ;

vio­lent et autori­taire, on peut être épuisé par le vin et le plaisir.

Puis­sance des change­ments

Les qua­tre pre­mières lignes ont en leurs cen­tres la même expres­sion néga­tive 不能 bù néng “ne pas pou­voir”. néng a le sens d’être capa­ble d’at­tein­dre, la valeur ; Le dic­tio­n­naire Shuo Wen Jie Zi con­sid­ère que le car­ac­tère représente un ours solide­ment cam­pé sur ses pieds (à droite 匕匕 deux pieds, en bas à gauche le corps et en haut à gauche le grogne­ment exprimé par sa gueule). Il man­i­feste donc la puis­sance, une force robuste, la valeur et la respon­s­abil­ité.

巧 歷 不 能 定 其 數

Les cal­culs les plus ingénieux ne peu­vent en déter­min­er le nom­bre ;

 

聖 明 不 能 為 之 典 要

les sages les plus per­spi­caces ne peu­vent en résumer les règles.

Les deux pre­mières lignes du sec­ond chapitre com­men­cent par rap­pel­er deux pro­priétés des change­ments :

  • impos­si­bil­ité d’en déter­min­er le nom­bre
  • impos­si­bil­ité de les sys­té­ma­tis­er

Dans les deux cas les car­ac­tères cor­re­spon­dant pos­sè­dent l’idée de “tenir en main” : La pre­mière ligne se ter­mine par shuò “plusieurs” qui sig­ni­fie éty­mologique­ment “suiv­re avec la main les fils de trame d’une tapis­serie”. A la fin de la sec­onde ligne la notion, cen­trale dans ce texte, de “pou­voir” peut être mise en regard avec yào “vouloir” qui exprime l’in­ten­tion, le désir, la néces­sité et représen­tait dans ses formes anci­ennes “des mains autour de la taille d’une femme”. L’idée de “met­tre la main sur” con­tribue au sens de l’ex­pres­sion finale 典要 diǎn yào “règle, critère immuable” mais égale­ment “style ou mod­èle clas­sique et con­cis”.

法 制 所 不 能 齊

Ils sont pré­cisé­ment ce que les lois ne peu­vent uni­formiser,

 

度 量 所 不 能 均 也

ce que les mesures ne peu­vent réguler.

Aux troisième et qua­trième lignes on retrou­ve dans suǒ “pré­cisé­ment” une hache créant vigoureuse­ment une ouver­ture. Précé­dant l’ex­pres­sion que nous avons traduite par “ne pas pou­voir”, nous pou­vons en déduire que ce qui déter­mine les change­ments, ce par quoi on peut les iden­ti­fi­er, est para­doxale­ment leur “indéter­minabil­ité”.

La néga­tion, l’im­pos­si­bil­ité, est donc énon­cée ici avec force comme principe fon­da­men­tal du change­ment. Le poten­tiel extra­or­di­naire des change­ments les rend en effet insai­siss­ables, même par les approches les plus sophis­tiquées. L’ou­ver­ture à ce qui ne peut être dis­cerné, à la pro­fondeur abyssale d’une puis­sance sans lim­ite est une évo­ca­tion du wu intan­gi­ble à la base du 無爲 wu wei, valeur-clé de l’Ecole du Mys­tère. Nous ver­rons plus en détail au chapitre 6 com­ment s’opère ce glisse­ment de la néga­tion vers l’ab­sence.

為 之 乎 豈 在 夫 大 哉

Ils provi­en­nent assuré­ment de quelque chose de grand !

La cinquième ligne con­clue cette “déf­i­ni­tion” avec emphase : il ne faut pas voir les change­ments comme des vari­a­tions acces­soires, de petites digres­sions issues de principes cen­traux que représen­teraient les hexa­grammes ; Les change­ments con­vo­quent ce qu’il y a de plus grand !

 

Puissance et limites

陵 三 軍 者 或 懼 於 朝 廷 之 儀

Un chef des armées peut red­outer l’étiquette de la cour ;

 

暴 威 武 者 或 困 於 酒 色 之 娛

vio­lent et autori­taire, on peut être épuisé par le vin et le plaisir.

La tour­nure des deux dernières lignes de ce chapitre varie con­sid­érable­ment avec tout ce qui précé­dait : de façon abrupte, et pour la pre­mière fois dans cette sec­onde sec­tion, un exem­ple est don­né en illus­tra­tion des con­cepts :

Le chef des armées est en rap­port avec la notion de puis­sance néng (puis­sance, force robuste, valeur et respon­s­abil­ité). Il se retrou­ve ici dans un con­texte et avec des règles (l’étiquette de la cour) qui ne lui per­me­t­tent pas de maîtris­er la sit­u­a­tion, ni même de se maîtris­er lui-même. Le mot que nous avons traduit par “peut” est huò “peut-être, pos­si­ble, ou bien”. Il ne s’ag­it plus de puis­sance mais de pos­si­bil­ité, d’al­ter­na­tive, de doute. Comme cela arrive couram­ment en chi­nois ce terme était par­fois util­isé à la place de celui dont il est égale­ment un com­posant guó “pays, roy­aume”. La dif­férence entre les deux est pré­cisé­ment un car­ré périphérique qui déter­mine et assoit le ter­ri­toire… Il n’y a donc ici plus de déter­mi­na­tion, plus d’as­sise. Les com­posants de huò expri­ment la préser­va­tion de l’u­nité d’un ter­ri­toire par les armes .

Le chef des armées se retrou­ve dans une sit­u­a­tion triple­ment néga­tive : pas d’u­nité, pas son ter­ri­toire, pas les bonnes armes… Comme le change­ment bru­tal de style dans ce chapitre, il est incon­gru et sa vigueur le met en défaut. Il réag­it donc par “la crainte” : son intégrité (com­posant de gauche le coeur) est men­acée (com­posant de droite halle­barde ou oiseau effrayé).

A la dernière ligne du chapitre le terme que nous avons traduit par “épuisé” est  kùn, titre de l’hexa­gramme 47. Il est com­posé du car­ré périphérique  qui sig­ni­fie ici l’isole­ment et le besoin d’un ressource­ment pour émerg­er d’une sit­u­a­tion con­traire. En effet là où il y a avait néng “puis­sance” au cen­tre du car­ré de guó “ter­ri­toire”, nous avons main­tenant “arbre”. L’an­ci­enne gra­phie de mon­tre encore mieux que l’actuelle, la diver­gence des branch­es (hexa­gramme 38), la direc­tion com­mune par le tronc, et les racines puisant à la même source. Le para­doxe illus­tré par cet exem­ple réside en ce que le vin et les plaisirs, tout comme l’au­di­ence à la cour sont en principe l’ac­com­plisse­ment, le couron­nement d’un désir. Le change­ment exprime donc bien un désir et un mou­ve­ment pour une sit­u­a­tion de dif­férence, mobil­isant un retour à la source.

Appa­rait égale­ment ici, sous une forme très syn­thé­tique, ce que nous ne cesserons de ren­con­tr­er tout au long de cette étude : le rap­port puissance/limites, cœur de la dynamique des change­ments.

  

Troisième chapitre

La prox­im­ité n’implique pas l’alliance ;

la dis­tance n’implique pas la dif­férence.

Les sons iden­tiques se répon­dent en écho

alors qu’ils ne sont pas de même hau­teur.

Les dynamiques iden­tiques se recherchent mutuelle­ment

C’est ce qui attire le drag­on dans les nuages.

Ce sont les notes musi­cales mineures qui déter­mi­nent les notes majeures.

Deux femmes se haïssent l’une l’autre,

alors que ferme et sou­ple s’unissent dans un même corps.

De longs soupirs aux som­mets ne man­queront pas de rem­plir les val­lées loin­taines.

Ayant éparpil­lé leurs armes par terre, les six voisins ne peu­vent plus se pro­téger mutuelle­ment.

Tra­ver­sant une riv­ière sur le même bateau

Mon­gols et gens de Yue, mal­gré leurs haines, con­scients de leurs sen­ti­ments dif­férents,

oublient leurs diver­gences, ne s’inquiètent pas,

et s’entendent alors sans recourir à la force des armes.

Réson­nances sym­pa­thiques

近 不 必 比

La prox­im­ité n’implique pas l’alliance ;

 

遠 不 必 乖

la dis­tance n’implique pas la dif­férence.

La forme graphique des car­ac­tères et la struc­ture des deux pre­mières phras­es sont très proches :

que nous avons traduit par “alliance” mon­tre deux hommes côte à côte. En plus de l’idée de voisi­nage ce mot peut égale­ment pren­dre le sens de com­para­i­son, voire de rival­ité. Nous en retien­drons ici l’ap­par­te­nance à une même caté­gorie. Compte tenu de ce qui va suiv­re un des sens égale­ment pos­si­bles serait “imiter”.

En fin de sec­onde ligne guāi, traduit ici par “dif­férence” mon­tre en par­tie basse deux hommes qui se tour­nent le dos ; ils sont sur­mon­tés par des cornes de béli­er. Cela exprime l’idée de sépa­ra­tion, divi­sion, résis­tance. Des formes anci­ennes du car­ac­tère sem­blent représen­ter une colonne vertébrale et com­plè­tent l’idée de se tourn­er le dos avec l’i­den­ti­fo­ca­tion d’un tronc com­mun. On retrou­ve comme com­posant de jìn, pre­mier car­ac­tère du chapitre, la hache , déjà vue plusieurs fois au chapitre 2, ain­si qu’un pied qui avance  ; avancer en péné­trant induit la notion de prox­im­ité.

Le pre­mier car­ac­tère de la sec­onde ligne yuǎn com­porte lui aus­si un pied qui avance, mais cette fois-ci accom­pa­g­né de qui exprime “la longueur (d’un vête­ment)”. Il a donc le sens d’éloigne­ment ou de tenir à dis­tance.

Nous avons iden­ti­fié au sec­ond chapitre les notions de “pou­voir” et “vouloir”. Celle que véhicule (précédé de la néga­tion ) le troisième mot de cha­cune des deux lignes est “fal­loir”. L’idée de néces­sité ou de devoir, mais égale­ment de con­fi­ance provient de la représen­ta­tion graphique d’un cor­don auquel était attachée la tablette de jade d’un dig­ni­taire. Une autre lec­ture éty­mologique mon­tre une flèche qui tranche un doute. Nour­ris de ces vari­antes nous pou­vons con­serv­er l’idée d’ ”oblig­a­tion”. Résumons sim­ple­ment ces deux pre­mières lignes par : “la réson­nance sym­pa­thique ne dépend pas de la dis­tance physique”.

Les sons iden­tiques se répon­dent en écho

alors qu’ils ne sont pas de même hau­teur.

Les dynamiques iden­tiques se recherchent mutuelle­ment […]

  

[…] Ce sont les notes musi­cales mineures qui déter­mi­nent les notes majeures.

Les har­moniques musi­cales décrites aux troisième, qua­trième et sep­tième lignes sont érigées en principe à la cinquième : “Les dynamiques iden­tiques se recherchent mutuelle­ment”. Ain­si par-delà une prox­im­ité appar­ente, un accord, une réson­nance en rap­port avec la fréquence vibra­toire peu­vent se man­i­fester. Par ce texte sont jus­ti­fiées les con­cor­dances affir­mées dans les com­men­taires sur les traits : cela explique pourquoi dans un cer­tain con­texte le troisième trait d’un hexa­gramme peut être beau­coup plus en rela­tion avec par exem­ple le six­ième qu’avec ses voisins en sec­onde et qua­trième place. Toute une série d’ex­em­ples vient ensuite éclair­er et enrichir cette affir­ma­tion :

C’est ce qui attire le drag­on dans les nuages.

Le drag­on et les nuages ne cor­re­spon­dent pas au même état physique, mais la nature intime du drag­on l’in­vite à rejoin­dre l’aérien humide des nuages (ou des nuées).

Deux femmes se haïssent l’une l’autre,

Les aspi­ra­tions intimes des deux femmes les met­tent en con­cur­rence plutôt qu’en com­plic­ité de genre.

而 剛 柔 合 體

alors que ferme et sou­ple s’unissent dans un même corps.

Le car­ac­tère “corps” est com­posé à gauche de “les os”, pour la sèche rigid­ité et l’im­pul­sion pre­mière ; le com­posant de droite est lǐ “vase rit­uel, tam­bour (donc peau selon un (seul) éty­mol­o­giste)” pour la sou­p­lesse, l’ac­cueil et la réson­nance généreuse. C’est leur com­bi­nai­son qui rend un corps capa­ble à la fois de se tenir droit et de se mou­voir intérieure­ment et extérieure­ment. Fer­meté et sou­p­lesse sont bien enten­du égale­ment les car­ac­téris­tiques respec­tives des traits yang et yin.

隆 墀 永 歎 壑 必 孟

De longs soupirs aux som­mets ne man­queront pas de rem­plir les val­lées loin­taines.

Lors de la présen­ta­tion du pro­jet nous avions envis­agé deux approches suc­ces­sives pour cette étude sur “l’In­tro­duc­tion Som­maire au Clas­sique des Change­ments” Zhou Yi Lue Li : tout d’abord une analyse de la struc­ture des textes, puis des expli­ca­tions sur le sens et la portée.

Nous avons tenu cette posi­tion lors de notre précé­dent arti­cle qui se lim­i­tait à l’analyse struc­turelle sur la sec­tion 1. Mais la forme et le con­tenu de la sec­tion 2 oblig­ent à plonger plus pro­fond vers la recherche du sens et dans une analyse plus fine des élé­ments textuels. Comme indiqué en préam­bule cette présen­ta­tion des change­ments est en fait le rétab­lisse­ment du Zhou Yi au niveau de sagesse de ses orig­ines.

 De même l’analo­gie entre “sommets/vallées” et “traits du haut/traits du bas” nous invite à mod­el­er la lec­ture des hexa­grammes sur la puis­sance de cer­tains phénomènes naturels et extra­or­di­naires. L’ac­cep­ta­tion du mys­tère de ces man­i­fes­ta­tions pour­tant bien réelles déplace l’as­so­ci­a­tion du rationnel avec l’év­i­dence sim­pliste en une pos­si­bil­ité d’in­ter­ac­tion et de réson­nance entre dif­férents niveaux. Une dimen­sion sup­plé­men­taire est alors révélée.

Le mot cen­tral tàn que nous traduisons par “soupirs” exprime égale­ment l’idée de “repren­dre en chœur”. Son com­posant de droite est la clé 76 qui représente dans ses formes anci­ennes une per­son­ne bouche ouverte, alors que la com­po­si­tion de gauche mon­tre 廿 vingt bouch­es d’hommes.

La notion de hau­teur que nous avons for­mulée par “som­met” est con­tenue dans lóng qui peut égale­ment sig­ni­fi­er “le bruit du ton­nerre, la prospérité et la quan­tité”. Il est com­plété par chí  “émer­gence, mon­tic­ule ou pas­sage surélevé”.

La pro­fondeur est exprimée par huò “val­lées”. Nous retrou­vons à sa suite les idées d’oblig­a­tion et de con­fi­ance du début du chapitre (déjà en rela­tion avec les sons) dans , puis dans les com­posants de celles d’héritage et de récep­ta­cle , ce dernier terme véhic­u­lant égale­ment les notions d’ef­fort et d’én­ergie. Il con­firme donc la nature impérieuse de cette prop­a­ga­tion par réson­nance.

Reste yǒng “long, loin­tain” : il peut man­i­fester la dis­tance entre som­mets et val­lées mais égale­ment car­ac­téris­er la longueur des soupirs, dont il vient com­pléter la thé­ma­tique du chant choral lorsqu’il prend le sens de “psalmodies”.

投 戈 散 地 則 六 親 不 能 相 保

Ayant éparpil­lé leurs armes par terre, les six voisins ne peu­vent plus se pro­téger mutuelle­ment.

Les six voisins font bien sûr allu­sion aux six traits de l’hexa­gramme. L’ex­pres­sion 投戈 tóu gē en début de phrase sig­ni­fie “dépos­er les armes ; cess­er les hos­til­ités”. Les deux mots suiv­ants que nous avons traduits par “éparpil­lé par terre” for­maient autre­fois une expres­sion ayant le sens de “sinécure”, c’est-à-dire d’un salaire sans con­trepar­tie de tra­vail ; d’où l’idée d’un non-emploi. Ce que l’on n’u­tilise pas est   ” les armes” fig­u­rant une halle­barde, une courte lance munie d’un cro­chet, donc un out­il pour agir ou tenir à dis­tance.

La “courte dis­tance” est à rap­procher de 親 qīn “les voisins”, d’une façon générale des gens avec qui on a de bonnes rela­tions et une 相保 xiāng bǎo “pro­tec­tion mutuelle”. Le lien avec la phrase précé­dente est xiāng “mutuel” : il désigne “un chant qu’on fai­sait enten­dre pour dimin­uer la fatigue en pilant du grain”.

bǎo “pro­tec­tion” provient en fait de l’idée de “familles asso­ciées pour se défendre mutuelle­ment” ; donc, plutôt que la pro­tec­tion, c’est en défini­tive l’as­so­ci­a­tion que notre tra­duc­tion devrait met­tre en avant

Renon­cer à mobilis­er ses pro­pres armes, les moyens req­uis, con­stituerait donc un préju­dice sérieux au ren­fort mutuel. La forme néga­tive ren­force l’idée de réson­nance néces­saire soulignée par dans la phrase précé­dente.

同 舟 而 濟

Tra­ver­sant une riv­ière sur le même bateau

Mon­gols et gens de Yue, mal­gré leurs haines, con­scients de leurs sen­ti­ments dif­férents,

oublient leurs diver­gences, ne s’inquiètent pas,

et s’entendent alors sans recourir à la force des armes.

L’ac­cent sur la mutu­al­ité tóng plutôt que sur les dif­férents de voisi­nage est encore illus­tré par les sym­bol­es du bateau zhōu qui per­met de tra­vers­er l’épreuve d’un flux incer­tain. Parce qu’ils appar­ti­en­nent et con­courent au même hexa­gramme, les traits, mêmes s’ils diver­gent, ne peu­vent utilis­er leurs ten­dances per­son­nelles au détri­ment les uns des autres.

 

Quatrième chapitre

Capa­bles de par­ler à tous les cœurs ;

capa­bles de scruter toutes les pen­sées ;

dif­férents et ain­si con­scients de leurs pro­pres gen­res ;

dis­sem­blables et ain­si con­scients de leurs pro­pres rela­tions :

n’est-ce pas le priv­ilège de ceux qui com­pren­nent les lignes ?

Iden­tités remar­quables

Dans le dernier exem­ple du chapitre précé­dent il y avait étab­lisse­ment d’un dou­ble lien : externe, entre les deux rives de la riv­ière par l’en­trem­ise du bateau ; interne, lorsque cha­cun choi­sis­sait de voir dans l’autre, dans l’é­tranger, un “même” tourné dans une direc­tion iden­tique à la sienne.

L’élargissement du point de vue se pro­longe main­tenant en un pont vers les proces­sus de niveau 3, ceux qui relèvent d’une vision élargie :

Ayant pro­fondé­ment inté­gré la notion de dis­sem­blance coopérante lors de l’analyse des traits, les change­ments ne sont pas perçus par “ceux qui com­pren­nent les lignes” comme la rup­ture d’un équili­bre mais comme une oppor­tu­nité à la fois d’ex­ten­sion des rela­tions aux autres (donc vers l’ex­térieur) et de com­préhen­sion plus intime de sa pro­pre nature (donc interne).

能 說 諸 心

Capa­bles de par­ler à tous les cœurs ;

能 研 諸 慮

capa­bles de scruter toutes les pen­sées ;

Nous retrou­vons au début des deux pre­mières lignes le car­ac­tère néng (puis­sance, force robuste, valeur et respon­s­abil­ité) qui car­ac­téri­sait le chef des armées à la fin du sec­ond chapitre. Il est suivi en pre­mière ligne de shuō “aisance, facil­ité” qui se com­pose à gauche de yán “paroles” et à droite de duì “échang­er”, nom du tri­gramme et de l’hexa­gramme 58 (Com­mu­ni­ca­tion joyeuse). En sec­onde ligne se trou­ve yán “une pierre à broy­er l’en­cre” qui exprime donc “finesse et pro­fondeur”. Le pas­sage de l’o­ral­ité en pre­mière ligne à l’écrit en sec­onde ligne cor­re­spond bien à celui de xīn “cœur” vers lù “la rai­son, la réflex­ion”.

異 而 知 其 通

dis­sem­blables et ain­si con­scients de leurs pro­pres rela­tions :

tōng “tra­vers­er sans entrave” en fin de qua­trième ligne, est dif­férent du “tra­vers­er” qui per­me­t­tait de franchir une dis­tance. L’idée n’est plus d’une assis­tance ou tolérance mutuelle mais de la com­préhen­sion intime d’une iden­tité aux deux sens du terme : sa pro­pre réal­ité et la révéla­tion d’une com­mu­ni­ca­tion flu­ide et har­monieuse avec l’autre.

  

Cinquième chapitre

Pren­dre soin des proches fait venir les éloignés ;

ajus­tant la pre­mière note de la gamme, la sec­onde y fait écho ;

pren­dre soin de ce qui est en bas fait descen­dre ce qui est en haut ;

don­ner à celui-là et ain­si pren­dre à celui-ci qui s’incline.

Ain­si les motifs con­traires s’influencent en retour ;

dis­tant et proche se recherchent l’un l’autre ;

attrac­tion et répul­sion s’affrontent l’une l’autre ;

con­cen­tra­tion et expan­sion se stim­u­lent l’une l’autre.

Celui qui tient compte des cir­con­stances touchera au but ;

se dirigeant en ligne droite il s’en écarte.

C’est pourquoi il faut peser le pour et le con­tre afin de se pré­par­er aux change­ments.

La dis­cus­sion est le moyen de se pré­par­er pour ensuite évoluer.

On ne sait pas ce qui les dirige et en définit les rythmes,

de telle sorte que le monde entier s’y accorde

puisqu’il est à la source du mou­ve­ment de cha­cun.

Impérieuse harmonie

故 有 善 邇 而 遠 至

Pren­dre soin des proches fait venir les éloignés ;

命 宮 而 商 應

ajus­tant la pre­mière note de la gamme, la sec­onde y fait écho ;

修 下 而 高 者 降

pren­dre soin de ce qui est en bas fait descen­dre ce qui est en haut ; 

Le mot-clé de la pre­mière phrase est shàn “amélior­er, pren­dre soin”. Ses com­posants sont effec­tive­ment “bouche, nour­rir, mem­bres d’une famille”, “herbe, crois­sance” et “mou­ton” ani­mal domes­tique. Il représente le bien, la ver­tu. Les Leçons Ety­mologiques de L. Wieger par­lent d’une bonne entente rétablie après une dis­pute. Cela cor­re­spond égale­ment à l’étab­lisse­ment d’une har­monie mal­gré des dif­férences. Cet “accord”, con­sid­éré musi­cale­ment selon la sec­onde ligne, fait “venir” des notes plus éloignées.

Par­mi les dif­férents sens du mot zhì “arriv­er, attein­dre, par­venir” nous retrou­vons “il con­vient ; il faut ; il est néces­saire” déjà revendiqué plus haut par “il faut”. Mais le Shuo Wen en explique la gra­phie comme “un oiseau qui descend en flèche vers le sol ” ; Cela jus­ti­fie cer­taine­ment qu’à la troisième ligne on fasse “descen­dre ce qui est en haut”. En effet jiàng “descen­dre”, out­re “la vis­ite ou un cadeau d’un supérieur à un inférieur” sym­bol­i­sait graphique­ment la “chute ou la mort d’un oiseau”.

Revenons à la sec­onde phrase : nous avons suivi comme tous les tra­duc­teurs et com­men­ta­teurs clas­siques la métaphore musi­cale selon une lec­ture par­ti­c­ulière du mot-à-mot chi­nois. Il con­vient toute­fois de not­er la présence du pre­mier terme mìng “mis­sion, vie, des­tinée, man­dat” que l’on retrou­ve par exem­ple dans 天命 tiān mìng “man­dat du ciel”. Le com­posant du haut est une bouche qui par­le vers le bas, où est vis­i­ble une bouche à côté de quelqu’un qui s’age­nouille. On en déduit l’idée de “recevoir mis­sion de dif­fuser un ordre”.

Asso­cié avec le sec­ond mot on obtient l’ex­pres­sion 命宮 mìng gōng sig­nifi­ant en astrolo­gie “des­tinée, ascen­dant”. C’est du com­posant que provient l’idée de note musi­cale. Au pre­mier regard on pense y devin­er deux bouch­es, ce qui con­firmerait la ten­dance générale de chœur musi­cal ; il s’ag­it en fait de vertèbres super­posées qui con­stituent l’épine dor­sale, donc analogique­ment une échelle de tons se sou­tenant les uns les autres. A cause du com­posant en haut qui indique un bâti­ment, le sens usuel est “palais, mai­son”, ter­mes que l’on retrou­ve égale­ment en astrolo­gie. Voilà pour ce que nous avons traduit par “ajus­tant la pre­mière note de la gamme”.

Le mot inter­mé­di­aire ér est une par­tic­ule usuelle qui annonce soit une con­séquence, soit une nuance vis-à-vis du pre­mier terme de la phrase. Son graphisme ini­tial mon­tre les racines d’une plante ou les favoris d’une barbe ; d’où l’emprunt comme par­tic­ule de liai­son et d’ex­ten­sion. Il est suivi de shāng “marc­hand, dis­cuter” dont l’ac­cep­tion retenue ici est “sec­onde note de la gamme pen­ta­tonique”. Mais shang est égale­ment le nom de la sec­onde dynas­tie chi­noise (celle qui précédât la dynas­tie Zhou) dont provi­en­nent les pre­mières traces orac­u­laires. C’est aus­si le nom d’une des “maisons” en astrolo­gie chi­noise. Son sens usuel “dis­cuter, négoci­er” est ce que font les marchands ou col­por­teurs lorsqu’ils achem­i­nent des biens d’une région à l’autre. Déf­i­ni­tion de shang selon le Shuo Wen : “par l’extérieur con­naître l’interne, révéler l’intérieur dans l’extériorisation.” On com­prend désor­mais mieux les deux phras­es périphériques :

Pren­dre soin des proches fait venir les éloignés ; […]

 

[…] pren­dre soin de ce qui est en bas fait descen­dre ce qui est en haut ;

Les gra­phies anci­ennes de shang mon­traient de haut en bas : “roi, prince” ; “une chauf­fer­ette en forme de cloche” ; “une bouche”. D’où prob­a­ble­ment l’idée de dif­fuser le mes­sage d’en haut.

Le dernier terme yīng “il faut” exprime à nou­veau l’idée d’im­périeux, de néces­sité, impos­si­bil­ité de ne pas faire. En plus d’une cer­ti­tude il véhicule égale­ment les sens de “réponse, écho, répéti­tion, ressem­blance”. Nous avons pour finir plusieurs fois déjà évo­qué la sym­bol­ique de la déter­mi­na­tion d’un oiseau qui pique (tombe). Plongeant instan­ta­né­ment et implaca­ble­ment du plus haut vers ce qu’il vise tout en bas, l’é­ty­molo­gie nous en donne ici une vari­ante en représen­tant par un cœur et un aigle ou un fau­con  : “l’e­sprit de l’oiseau qui tue”.

與 彼 而 取 此 者 服 矣

don­ner à celui-là et ain­si pren­dre à celui-ci qui s’incline.

Pre­mier mot,  con­duit par glisse­ment de sens depuis “ensem­ble” –> “s’ac­corder” –> “don­ner son accord” jusqu’à –> “don­ner”. Sa gra­phie anci­enne mon­trait “une main ten­ant une cuil­lère avec quelque chose dedans”, et se trans­for­ma plus tard en “des mains qui don­nent à des mains qui reçoivent”. Il trou­ve ain­si cor­re­spon­dance avec “pren­dre, attir­er” fig­u­rant “une main qui tient une oreille (ou une anse)”. “vête­ment” que nous avons traduit par “s’in­cline” exprime une soumis­sion, un acqui­esce­ment, une adap­ta­tion ou le fait de se pli­er.

Mais ne nég­li­geons pas le car­ac­tère final de la phrase, son couron­nement : en tant que par­tic­ule finale n’est usuelle­ment dévolu qu’à ren­forcer ce qui précède. Ici toute­fois, davan­tage en lien avec le con­texte, il exprime une “con­séquence néces­saire” (on retrou­ve “il faut”). Son véri­ta­ble sens, ouver­ture à la suite du texte, est finale­ment révélé à la lec­ture de ses com­posants : “per­dre, laiss­er échap­per” son “intérêt per­son­nel”.

Changement et intégrité

是 故 情 偽 相 感

Ain­si les motifs con­traires s’influencent en retour ;

故情 représente juste­ment les “motifs per­son­nels naturels”. wèi, que nous avons faible­ment traduit par “con­traires” exprime la trans­for­ma­tion du naturel par l’exercice de la morale et le développe­ment de la cul­ture. Ce “change­ment” passe par un appau­vrisse­ment de la qual­ité de l’être. Le com­posant de gauche mon­tre effec­tive­ment un être humain. En haut à droite se trou­ve une main nour­ris­sant ou masquant en bas à droite un éléphant. Nous con­nais­sons bien ce dernier : il désigne les Images (Grande Image pour l’Hexa­gramme et Petites Images pour les Traits)

Sont alors de nou­veau dis­tin­guées trois formes de rela­tions par dif­férence. De ces oppo­si­tions émerge para­doxale­ment une dynamique qui les résout selon leur axe com­mun :

遠 近 相 追

dis­tant et proche se recherchent l’un l’autre ;

  • Ce qui est éloigné cherche à se rap­procher : il réduit donc la dis­tance avec ce dont il est éloigné. Inverse­ment ce qui est dans une rela­tion de prox­im­ité à ten­dance à s’en écarter. Le point com­mun de ces mou­ve­ments invers­es de leur pro­pre nature réside dans le mot zhuī “pour­suiv­re”. Comme yuǎn “dis­tant” et jìn “proche” il est basé sur   la clé de “la marche” et indique donc un mou­ve­ment. Mais si le sens courant de son deux­ième com­posant est “utilis­er”, un com­men­ta­teur clas­sique chi­nois pré­cise que “l’in­ten­tion a déjà été réal­isée”. L. Wieger explique que ce “car­ac­tère très ancien, fig­ure une exha­lai­son, la ver­tu qui sort d’un objet, son action, son effi­cac­ité, son usage. Par exten­sion, usage jusqu’à épuise­ment, ces­sa­tion, finir, ne plus être, passé”.

愛 惡 相 攻

attrac­tion et répul­sion s’affrontent l’une l’autre ;

  • ce qui attire lutte con­tre le rejet, alors que la répul­sion com­bat l’at­ti­rance. Les con­fig­u­ra­tions physiques de l’ex­em­ple précé­dent généraient une dynamique (d’at­trac­tion); ce qui est étudié main­tenant c’est le con­traste dans cette dynamique (attraction/répulsion). Le point com­mun de ces “mou­ve­ments de mou­ve­ments” est résolu par gōng “atta­quer”. Ses com­posants et expri­ment un tra­vail manuel (polis­sage d’une pierre) dans le but de résoudre un mal avec appli­ca­tion et habileté. Si la déter­mi­na­tion à résoudre est forte, l’at­taque ne vise pas à détru­ire, mais plutôt à con­ver­tir fer­me­ment et patiem­ment. L’in­flu­ence patiente est donc la solu­tion pro­posée à ài “attrac­tion” et “répul­sion” qui con­ti­en­nent tous les deux  la clé du cœur, des émo­tions.

屈 伸 相 推

con­cen­tra­tion et expan­sion se stim­u­lent l’une l’autre.

  • Dans les deux phras­es précé­dentes les change­ments s’ap­pli­quaient en rap­port avec une notion de dis­tance extérieure : géo­graphique et ini­tiale­ment sta­tique pour la pre­mière, dynamique dans le rap­port à l’autre pour la sec­onde. Les mou­ve­ments du troisième exem­ple s’ap­pliquent à un même organ­isme. La dynamique s’ex­erce suiv­ant des ten­sions internes. On peut désor­mais réelle­ment par­ler de “trans­for­ma­tion” : de change­ment de forme.

Rap­pelons pour la forme l’une des déf­i­ni­tions de la topolo­gie : “branche des math­é­ma­tiques qui étudie les défor­ma­tions d’un objet sans arrachage ni rec­olle­ment, c’est-à-dire sans sous­trac­tion ou addi­tion à l’en­tité ini­tiale”. Les notions-clés qui la gou­ver­nent sont “voisi­nage, lim­ite et con­ti­nu­ité”…

Le point com­mun de ces “change­ments sans altéra­tion” est exprimé par tuī “stim­ule”. Si sa tra­duc­tion com­mune est “pouss­er, repouss­er”, il con­tient égale­ment le sens de “suc­céder”. Nous retrou­vons à droite le com­posant oiseau (présent plus haut dans le texte sous forme d’oiseau tan­tôt effrayé tan­tôt en chute (ou mort)). Mais cette fois-ci la gra­phie de gauche est la main qui en lim­i­tant pro­tège et préserve…

Nous avions à pro­pos de “con­trac­tion” et shēn “expan­sion” déjà ren­con­tré “la che­nille arpen­teuse [qui] se replie afin de se déploy­er” au chapitre 5 de la Six­ième Aile (Grand Com­men­taire), métaphore (entre autres) des saisons qui se génèrent l’une l’autre dans un éter­nel retour et du main­tien de la vie. Ain­si le change­ment devient-il garant de la préser­va­tion de l’in­tégrité.

Pied droit, pied gauche : garder son cap

見 情 者 獲

Celui qui tient compte des cir­con­stances touchera au but ;

Le niveau de dis­cours change alors pour des con­seils en direc­tion de ceux qui lisent.

Ce que nous avons traduit par “tenir compte des cir­con­stances” est com­posé de jiàn “voir, dis­cern­er” et qíng “sen­ti­ment, dis­po­si­tions intimes” mais aus­si “cir­con­stances”.

huò “cap­ture, attein­dre” décrit un chien qui attrape (main) un oiseau (c’est le même com­posant que dans tuī “stim­ule” à la ligne précé­dente).

直 往 則 違

se dirigeant en ligne droite il s’en écarte.

zhí sig­ni­fie “rec­ti­tude”, sa com­po­si­tion éty­mologique par­le de vis­er droit.

wéi “s’é­carter de, esquiver, s’éloign­er, se sépar­er, trans­gress­er” en plus de clé de “la marche”, a pour com­posant le cuir qui une fois tan­né présente une face et un revers : d’où les sens de dou­ble aspect et de revers dans la démarche.

En effet l’a­vant dernier mot 則 “donc” peut aus­si bien indi­quer une con­séquence, qu’une régu­la­tion, une méth­ode ou tout sim­ple­ment l’ad­verbe “mais”. Com­posé du couteau (dis­cerne­ment, couper en deux) et du cau­ris (objet pré­cieux) il évoque donc une valeur atteinte par la dis­tinc­tion. Une autre tra­duc­tion serait donc :

gar­dant le cap, un pas à droite, un pas à gauche.

故 擬 議 以 成 其 變 化

C’est pourquoi il faut peser le pour et le con­tre afin de se pré­par­er aux change­ments.

D’où égale­ment la néces­sité de 擬議 nǐ yì “soumet­tre un plan, une propo­si­tion à délibéra­tion”.

Nous avons traduit à tort chèng par “se pré­par­er” au lieu du sens cor­rect “parachev­er, men­er à bonne fin”.

Dans 變化 biàn huà “change­ments et trans­for­ma­tions” l’ex­pres­sion asso­cie biàn “mod­i­fi­ca­tion rel­a­tive­ment soudaine et rad­i­cale” à huà “trans­for­ma­tion gradu­elle et con­tin­uelle à l’intérieur d’un être, d’une sit­u­a­tion”.

語 成 器 而 後 有 格

La dis­cus­sion est le moyen de se pré­par­er pour ensuite évoluer.

Avec “par­ler, dis­cus­sion”, dont l’é­ty­molo­gie mon­tre  訁“l’expression” d’un “moi” point de vue per­son­nel,  nous retrou­vons le marchandage intro­duit à la sec­onde phrase du chapitre par shang. Mais la gra­phie de , qui exprime le plus couram­ment “je, moi”, est con­sti­tuée de “deux lances qui lut­tent”. Ici mon­tre la réu­nion de wǔ “cinq” kǒu “bouch­es”. Là où wǒ expri­mait les dif­férences extérieures, wú souligne la com­mu­nauté humaine en cha­cun.

Cela est con­fir­mé par les troisième et qua­trième ter­mes :   qì “out­il, moyen” représente de mul­ti­ples récip­i­ents (gra­phie “qua­tre bouch­es”…) trans­portés sur une même perche. hòu “ensuite, suiv­re” mon­tre quelque chose que l’on traine der­rière soi attaché par un fil et désigne donc la lignée, les héri­tiers.

Notre tra­duc­tion du dernier mot gé “arriv­er” par “évoluer” est trop pau­vre. A gauche l’ar­bre pos­sède un tronc com­mun d’où sem­blent diverg­er des branch­es. Cette ten­dance sem­ble ren­for­cée à droite par “aller son chemin sans écouter les avis des autres”, donc “dis­tinct, par­ti­c­uli­er”. Mais dans gé sont égale­ment présentes de plusieurs autres notions telles que “scruter, con­jec­tur­er”, “norme, étalon, mod­èle”, “par­venir, approcher, rec­ti­fi­er, par­faire”. Peser le pour et le con­tre per­met donc ensuite d’af­firmer un point de vue par­ti­c­uli­er en ten­ant compte du tronc com­mun et des pos­si­bles autres décli­naisons.

Motivations

不 知 其 所 以 為 主

On ne sait pas ce qui dirige

La dernière par­tie du chapitre souligne l’im­pos­si­bil­ité de définir ce qui ori­ente les change­ments.

Le terme prin­ci­pal de cet “indéfi­ni” est à la fin de la pre­mière ligne : zhǔ “maître, direc­tion”. Sa gra­phie mon­tre une flamme qui sort d’une lampe en terre et donc fig­ure le prince qui s’él­e­vant en bril­lant au-dessus de la masse est vis­i­ble de tous.

Il est précédé de ou wéi “comme” et exprime “l’in­ten­tion, le motif”. Com­posé d’une main qui nour­rit ou masque un éléphant  (Image)s…, nous l’avons déjà ren­con­tré en cinquième ligne du présent chapitre. Dans la forme , suiv­ant que l’on prononce huī ou wéi, le sens est “diriger” ou au con­traire “aider, assis­ter, sec­on­der”.

Nous avons déjà iden­ti­fié dans ce chapitre la forme anci­enne du car­ac­tère “ain­si”, qui mon­tre deux bouch­es et indique une “inten­tion déjà réal­isée”.

Con­tin­u­ant à chem­iner à rebours dans la pre­mière ligne nous retrou­vons égale­ment suǒ une hache créant ryth­mique­ment une ouver­ture (nous l’avions vue aux pre­mier et sec­ond chapitres). Ce terme amène déjà la notion de “rythme” et de cycles de vari­a­tions entre des états sta­bles. Mais en défini­tive le regroupe­ment des deux ter­mes 所以 suǒ yǐ  exprime usuelle­ment un motif, une cause : “ce par quoi”.

鼓 舞 而 天 下 從 者

et définit les rythmes, de telle sorte que le monde entier s’y accorde

La sec­onde ligne con­tin­ue sur la notion de rythme avec : “bat­tre le tam­bour” et “danser”. L’ex­pres­sion entière 鼓舞 gǔ wǔ “danser au rythme du tam­bour” évoque cer­taine­ment une pra­tique chamanique et sig­ni­fie “encour­age­ment, stim­u­la­tion”.

Nous con­nais­sons déjà le mot suiv­ant  ér qui exprime lui-aus­si un pro­longe­ment.

L’a­vant-dernier terme est zòng “se con­former” et mon­tre dans sa forme ini­tiale deux per­son­nes qui se suiv­ent : “accorder sa démarche”. Pied droit, pied gauche, per­son­nes qui se suiv­ent en rythme : nous sommes décidem­ment encore et tou­jours avec l’idée d’un bal­ance­ment en vue d’un élan col­lec­tif pour un ren­force­ment du cen­trage indi­vidu­el

見 乎 其 情 者 也

puisqu’il est à la source du mou­ve­ment de cha­cun.

L’ex­pres­sion 見乎 jiàn hū peut être traduite par “les évène­ments futurs”. Com­posée de jiàn “voir, dis­cern­er, paraître” et de hū, déjà vu au pre­mier chapitre, qui mon­tre un flux exprimé par un cad­ran solaire, elle représente donc la capac­ité à avoir ce que pro­duit le temps, le futur. On la retrou­ve par exem­ple au début de l’id­iome 見乎蓍龜 jiàn hū shī guī “Les événe­ments futurs sont con­nus au moyen de l’achillée et de la tortue.”

pour­rait ren­forcer le car­ac­tère pré­dic­tif de la phrase puisqu’il indique sou­vent le futur du verbe qu’il précède. Mais il cor­re­spond encore plus sou­vent au pronom per­son­nel à la 3ème per­son­ne (“son, sa, ses”), et il est assez prob­a­ble qu’i­ci il généralise le car­ac­tère per­son­nel, par­ti­c­uli­er, d’où la tra­duc­tion retenue : “tout un cha­cun”.

Nous avons dans ce cinquième chapitre déjà ren­con­tré deux fois qíng “sen­ti­ment, dis­po­si­tions intimes”.

zhě “celui qui”, fait référence au mot prin­ci­pal de la phrase (en pre­mière ligne) : zhǔ “ce qui dirige”.

Afin d’ex­primer les ten­dances tem­porelles et astrologiques on ren­force l’in­ten­tion div­ina­toire et la phrase entière devient alors :

“Il est pour tout un cha­cun la moti­va­tion de ses évène­ments futurs.”

 

Sixième chapitre

En vérité se mod­el­er sur les trans­for­ma­tions du Ciel et de la Terre et ain­si, sans erreur,

pren­dre soin de l’accomplissement de tous les êtres, sans en omet­tre aucun,

com­pren­dre pro­fondé­ment la voie du jour et de la nuit, mais ne pas avoir de sub­stance :

un yin, un yang, inépuis­able­ment ;

rien d’autre au monde ne peut être plus changeant !

Les lim­ites du change­ment

Com­mençons par con­sid­ér­er la struc­ture générale :

- Les qua­tre pre­mières phras­es ont une forme ana­logue : une asser­tion de base, une for­mule néga­tive de liai­son, puis une car­ac­téris­tique émer­gente : A -> N -> C.

- Aux deux pre­mières lignes la for­mule de liai­son est 而不 ér bù et pour les deux phras­es suiv­antes nous avons 而無 ér wú. Toutes débu­tent par ér (que nous con­nais­sons déjà et qui “annonce un pro­longe­ment ou une nuance”) et se ter­mi­nent donc soit par , soit par .

Quelle est la dif­férence entre les deux ter­mes ? Puisqu’ils expri­ment une néga­tion, con­sid­érons leurs con­traires :

 不 est l’antonyme de shì “être”. Il indique donc le con­traire de ce qui est, de quelque chose, d’un état ou d’une action.

- est l’antonyme de yǒu “avoir, présence, exis­tence”. Il man­i­feste com­muné­ment l’ab­sence de quelque chose, et philosophique­ment le “vide méta­physique antérieur à l’un”. C’est pré­cisé­ment par ce car­ac­tère que com­mence 無爲 wu wei “l’ac­tion sans désir per­son­nel” à laque­lle Wang Bi attribue tant d’im­por­tance.

Pour résumer, si on devait les exprimer en nota­tion algébrique :

cor­re­spondrait à mul­ti­pli­er par ‑1

- cor­re­spondrait à mul­ti­pli­er par 0, donc à assign­er la valeur 0.

Con­scients de cette dif­férence impor­tante nous traduirons mal­gré tout pour le moment les qua­tre expres­sions par “et donc sans”. En ce qui con­cerne les fins de phras­es cela donne alors qua­tre décli­naisons :

- “(sans) excès”,

- “(sans) omis­sion”,

- “(sans) sub­stance”,

- “(sans) s’épuis­er”.

是 故 範 圍 天 地 之 化 而 不 過

En vérité se mod­el­er sur les trans­for­ma­tions du Ciel et de la Terre et ain­si, sans erreur,

Le chapitre com­mence par une for­mule de liai­son : 是故 shì gù “C’est pourquoi, par con­séquent”.

Obser­vons main­tenant les asser­tions en début de chaque ligne :

Cadre (bis)

La pre­mière débute par l’ex­pres­sion 範圍 fàn wéi “sphère, domaine, lim­ites, éten­due”. Vien­nent ensuite 天地 tiān dì “le Ciel et la Terre”, puis huà “chang­er” qui représente deux per­son­nes dont l’une est tête en bas. Appli­quant cela à “Ciel et Terre” nous avons bien deux principes invers­es, extrêmes, com­plé­men­taires. Humains inver­sés : le Shuo Wen con­sid­ère que ce car­ac­tère exprime égale­ment la trans­for­ma­tion de l’homme par l’enseignement.

Cette ligne se ter­mine par guò “dépass­er, excès” (que l’on retrou­ve dans le titre des hexa­grammes H28 et H62 qui ont en com­mun les car­ac­téris­tiques graphiques suiv­antes : deux traits “con­ti­nus” yang en leur cen­tre, des paires de traits en miroir en haut et en bas).

La phrase entière peut donc être lue “Se con­for­mant aux trans­for­ma­tions du Ciel et de la Terre, ils ne sont donc pas exces­sifs ;”

Un cadre a été défi­ni. Il est respec­té… Obser­vons main­tenant ce qui s’y passe :

Plein accomplissement

曲 成 萬 物 而 不 遺

pren­dre soin de l’accomplissement de tous les êtres, sans en omet­tre aucun,

La sec­onde ligne débute par “courbe, sin­ueux”. Ce terme est l’antonyme de zhí “rec­ti­tude” (ren­con­tré au cinquième chapitre dans la phrase “se dirigeant en ligne droite il s’en écarte”). représen­tait ini­tiale­ment un treil­lis (un cadre évidé) sur lequel on nour­ris­sait les vers à soie (sin­u­ant et se trans­for­mant pour s’ac­com­plir).

Il est juste­ment suivi de chèng “chang­er, s’ac­com­plir”. En réponse au zhí “rec­ti­tude” du cinquième chapitre notons que l’ex­pres­sion 曲成 qū chéng sig­ni­fie égale­ment “par­venir à ses fins par des détours”.

Vien­nent ensuite 萬物 wàn wù “Les dix mille êtres ; tous les êtres de l’u­nivers, tout ce qui prend forme entre Ciel et Terre”.

Cette ligne se ter­mine par “per­dre, omet­tre, oubli­er” qui est con­sti­tué à gauche de la clé chuò “marcher, se déplac­er” et à droite de guì “pré­cieux”, d’où l’idée de “laiss­er quelque chose de pré­cieux en cours de route”.

La tra­duc­tion devient alors :

“enclins à l’ac­com­plisse­ment de tous les êtres, ils n’en lais­sent donc pas de côté ;”

Il n’y a au sein du cadre aucune omis­sion… Bien que la néga­tion util­isée soit “pas”, nous glis­sons déjà vers “aucun, zéro”.

Emergence

通 乎 晝 夜 之 道 而 無 體

com­pren­dre pro­fondé­ment la voie du jour et de la nuit, mais ne pas avoir de sub­stance :

La troisième ligne débute par tōng “tra­vers­er sans entrave” qui lui aus­si con­tient la clé chuò “marcher”, donc l’idée d’évo­lu­tion. Mais cette fois-ci le sec­ond com­posant désigne “l’an­neau de sus­pen­sion d’une cloche ou d’un seau (qui en relie donc les deux bor­ds)” ou “une allée entre deux murs”. Il était ques­tion de “per­dre en cours de route”, il s’ag­it main­tenant de décou­vrir une “voie de com­mu­ni­ca­tion entre deux lim­ites”, de pass­er entre les lim­ites, de tra­vers­er les fron­tières.

Le mot suiv­ant “faire appel à, proclamer” exprime l’idée de “pro­longe­ment vers l’ex­térieur” et con­firme donc la notion de dépasse­ment.

晝夜 zhòu yè “jour et nuit” est suivi de dào “voie” qui peut tout aus­si bien indi­quer un chemin que “la” Voie. Si, sans sur­prise, la clef à sa base est égale­ment chuò “marcher”, c’est son sec­ond com­posant shǒu “tête, chef” qui l’élève au rang de “Principe” philosophique. Le dic­tio­n­naire Ric­ci lui asso­cie entre autres l’ ”art de met­tre en com­mu­ni­ca­tion le Ciel et la Terre, les puis­sances sacrées et les hommes”. Dans son accep­tion la plus noble il désigne le “mou­ve­ment insai­siss­able de la vie, le principe uni­versel inac­ces­si­ble à la con­nais­sance servie par la dialec­tique 陰陽 yīn yáng”. L’idée est donc de décrire ce qui provoque l’al­ter­nance du jour et de la nuit.

Sous une forme plus con­cise nous pou­vons traduire 晝夜之道 zhòu yè zhī dào par “le principe jour/nuit”.

Mais revenons aux deux pre­miers mots de la ligne : tōng “tra­vers­er sans entrave” et “faire appel à, proclamer”… La plu­part des tra­duc­teurs reti­en­nent ici le sens de “pénétr­er par l’intelligence, com­pren­dre à fond.” Cepen­dant la notion de pro­fondeur (pos­si­ble pour le pre­mier terme) n’est pas com­pat­i­ble avec celle de “dif­fu­sion vers l’ex­térieur” du sec­ond. Les images de la poignée entre les bor­ds du seau ou de la cloche mon­trent la capac­ité à dis­cern­er du lien par-delà, “au-dessus” des lim­ites. Il ne s’ag­it pas de les renier mais au con­traire de s’y appuy­er pour les faire com­mu­ni­quer et éten­dre les domaines ini­tiale­ment bornés.

Une autre métaphore, reprenant la thé­ma­tique de la voie de com­mu­ni­ca­tion pour­rait être le pont : reliant les berges il per­met de dépass­er leurs lim­ites, et ce faisant surtout de dépass­er un flux jusque-là infran­chiss­able (riv­ière ou autre précipice dans notre analo­gie, dan­ger ou incon­nu de façon plus générale). Du coup la pro­fondeur n’est pas “pénétrée, com­prise” mais vue claire­ment et dépassée. Ce sont les lim­ites qui sont “com­pris­es, inclues, inté­grées” (puis éten­dues).

Le cycle d’al­ter­nance jour/nuit impose effec­tive­ment deux formes de lim­i­ta­tions :

- La plus évi­dente est fig­urée par les deux extrêmes du soleil à son zénith (hexa­gramme H35) “con­damné” à ensuite déclin­er, et de la nuit qui, à son plus som­bre, ne peut qu’amorcer le retour vers la clarté.

- L’autre est liée au car­ac­tère cyclique de l’al­ter­nance : le par­cours du cer­cle, fer­mé sur lui-même, oblige à repass­er régulière­ment par les mêmes points.

Un des sens du dernier mot de la ligne “corps” est pré­cisé­ment “con­tenir, ren­fer­mer”. Nous l’avions déjà ren­con­tré aux pre­mier et troisième chapitres. Il désigne ici “un assem­blage organ­isé et inter­dépen­dant d’éléments spé­ci­fiques”.

La tra­duc­tion devient alors :

“dépas­sant le principe jour/nuit, ils ne s’y con­for­ment en rien ;”.

Entre les lignes

一 陰 一 陽 而 無 窮

un yin, un yang, inépuis­able­ment ;

La forme s’as­so­cie encore au fond : à l’ex­trémité des qua­tre pre­mières phras­es qióng “épuis­er, extrémité” nous par­le encore de lim­ites…

Comme en écho à la finale de la ligne précé­dente l’assem­blage de ses deux com­posants du bas désigne “le corps”. L’élé­ment du haut représen­tant une cav­erne ou un trou, l’ensem­ble peut sig­ni­fi­er une “tombe”, mais aus­si l’idée de “cou­vrir” com­plète­ment un sujet, d’aller jusqu’au bout d’une ques­tion ou d’une affaire.

Les qua­tre étapes for­mu­lent donc suc­ces­sive­ment :

  • la déf­i­ni­tion et le respect d’un cadre,
  • le plein accom­plisse­ment de tous dans ce cadre,
  • l’émer­gence hors du cadre,
  • la plongée vers le sans-lim­ite.

Con­sid­érons les lignes de rang impair : la pre­mière com­mençait par “Se con­for­mant” ; la troisième se ter­mine par “ils ne s’y con­for­ment en rien”…

Obser­vons main­tenant les lignes de rang pair : la sec­onde par “l’ac­com­plisse­ment de tous les êtres” indi­quait la com­plé­tion mal­gré le mul­ti­ple, la qua­trième après réduc­tion au min­i­mum des formes de man­i­fes­ta­tion en souligne la dynamique infinie.

En début de ligne la men­tion du cou­ple 陰陽 yin/yang utilise la même for­mu­la­tion qu’au cinquième chapitre de la cinquième Aile (Grand Com­men­taire) : 一陰一陽之謂道 “un aspect yin, un aspect yang, c’est le Dao”.

“un” pour­rait être inter­prété avec le sens de “un seul” dans le but de soulign­er la réduc­tion des man­i­fes­ta­tions du mul­ti­ple aux deux faces “ubac/adret”. Cela don­nerait une tra­duc­tion telle que :

“un seul yin, un seul yang, mais ils ne s’épuisent jamais”.

C’est cepen­dant l’alter­nance qui dans ce con­texte doit être mise en avant. On obtient alors quelque chose du style :

“tan­tôt yin, tan­tôt yang, et cela sans fin.”

Mais il manque encore l’évo­ca­tion de la ten­dance de l’un pour l’autre, le désir, l’at­trac­tion men­tion­nés plus haut pour “ce qui est d’une autre nature”… Une des propo­si­tions du Dic­tio­n­naire Ric­ci pour est : “Ten­dre à un but unique, être tout entier à une chose”. Cela exprime bien la ten­sion égale­ment présente dans la for­mule “yin est ce qui tend à devenir yang, yang est ce qui tend à devenir yin”. Nous avons alors :

“ten­dant vers le yin, ten­dant vers le yang, et cela sans fin.”

Nous avons con­staté à la troisième ligne la révéla­tion d’une voie entre les lim­ites. L’hexa­gramme H32 “Con­stance”, au “cœur” du Yi Jing, exprime bien cette dynamique d’un bac entre les deux rives d’un fleuve, du bat­te­ment car­diaque qui entre­tient la vie. Ce qui don­nerait pour la qua­trième ligne :

“ten­dant vers le yin, ten­dant vers le yang, ils sont sans lim­ite.”

Puisqu’il n’y a pas de lim­ite n’hésitons pas à ren­forcer le car­ac­tère cyclique de la phrase en sup­p­ri­mant :

  • la butée de la pre­mière vir­gule
  • les arti­cles “le” qui par­tic­u­larisent trop yin et yang

Donc pour finir :

“ten­dant vers yin ten­dant vers yang, ils sont sans lim­ite.”

Reprenons alors l’ensem­ble des qua­tre pre­mières lignes :

Se con­for­mant aux trans­for­ma­tions du Ciel et de la Terre, ils ne sont donc pas exces­sifs ;

enclins à l’ac­com­plisse­ment de tous les êtres, ils n’en lais­sent donc aucun de côté ;

dépas­sant le principe jour/nuit, ils ne s’y con­for­ment en rien ;

ten­dant vers yin ten­dant vers yang, ils sont sans lim­ite.

Puissance des changements (bis)

非 天 下 之 至 變 其 孰 能 與 於 此 哉

rien d’autre au monde ne peut être plus changeant !

Je vous (me ?) fais grâce de la tra­duc­tion com­plète de la dernière phrase, dont la struc­ture est gram­mat­i­cale­ment com­plexe. Cor­ri­geons sim­ple­ment la fadeur de notre tra­duc­tion de zhì “par­venir” (mais aus­si “sol­stice”). Nous l’avons déjà ren­con­tré au début du cinquième chapitre où il expri­mait un impératif. Rap­pelons qu’il représente “un oiseau qui descend en flèche vers le sol ”. Il recèle donc la dynamique d’une plongée en accéléra­tion ver­tig­ineuse.

Lorsqu’on con­sid­ère un corps en chute libre son “énergie ciné­tique” est pro­por­tion­nelle au car­ré, à la puis­sance 2, de sa vitesse. Il s’ag­it en quelque sorte de “la vitesse de la vitesse”. Emprun­tons alors à néng “pou­voir” la puis­sance de l’ours solide­ment cam­pé sur ses 匕匕 deux pieds, déjà ren­con­tré au deux­ième chapitre :

Rien au monde n’é­gale la puis­sance et ne parvient aus­si loin que les change­ments !

 

Septième chapitre

En vérité les hexa­grammes con­sid­èrent le moment

et les lignes aver­tis­sent des change­ments.

是 故 卦 以 存 時

En vérité les hexa­grammes con­sid­èrent le moment

爻 以 示 變

et les lignes aver­tis­sent des change­ments.

Hexa­grammes et lignes

L’essen­tiel du mes­sage de ce court chapitre a déjà été don­né dans notre intro­duc­tion. Les deux phras­es ont la même struc­ture ; nous pou­vons en com­par­er les ter­mes :

  • guà peut égale­ment désign­er les tri­grammes. Mais comme tous les tra­duc­teurs nous lisons ici “hexa­gramme”.

yáo représente les lignes qui com­posent les hexa­grammes. Le car­ac­tère est com­posé dans ses formes anci­ennes de deux ou trois yì super­posés. Cer­tains éty­mol­o­gistes y voient une paire de ciseaux ou le geste d’al­ter­nance dans le fauchage. En tout cas il véhicule l’idée de couper, tranch­er, et donc au sens fig­uré celles de gou­vern­er, con­trôler, gér­er et même nour­rir. Il serait selon d’autres une forme anci­enne de cinq. En tant que com­posant il appa­rait dans l’un des mots les plus anciens et les fréquents du Yi Jing : xiōng “mau­vais présage, fer­me­ture” dont un des sens pre­miers serait un piège ou un trou dans le sol. Compte tenu de tout ce qui précède nous conser­vons pour yì les idées d’al­ter­nance (entre les traits con­ti­nus et dis­con­ti­nus) et de tranch­er (un trait est soit yin, soit yang).

  • Le dernier mot de la pre­mière phrase est shí “moment”. Il représente une sai­son, une péri­ode de deux heures (la journée chi­noise se décom­pose en douze fois deux heures), de façon plus générale une époque, une péri­ode, un moment, une durée. Il peut égale­ment indi­quer la capac­ité à s’adapter aux cir­con­stances du moment, ou encore l’op­por­tu­nité dis­cernée dans l’analyse de la qual­ité prop­ice ou non du moment. Ety­mologique­ment le com­posant en bas à droite illus­tre la capac­ité à saisir et sélec­tion­ner cùn (main et pouce) le mou­ve­ment zhī (en haut à droite) du soleil (à gauche).

Son cor­re­spon­dant en fin de la sec­onde phrase est biàn “chang­er”. Nous savons déjà qu’il désigne une mod­i­fi­ca­tion rel­a­tive­ment soudaine et rad­i­cale par oppo­si­tion à huà “trans­for­ma­tions gradu­elles et con­tin­uelles à l’intérieur d’un être ou d’une sit­u­a­tion”. Mais il pour­rait aus­si être une forme abrégée exp­ri­mant ces deux types de change­ment. Sous les Han il a égale­ment pris le sens de “s’adapter aux cir­con­stances”.

  • Le terme que nous avons traduit par “con­sid­èrent” en pre­mière phrase est cún “sub­sis­ter”. L’idée générale est “préserv­er la vie”. Il est con­sti­tué d’un ensem­ble de traits représen­tant une main ou une con­struc­tion ver­ti­cale pro­tégeant ou ten­ant un enfant, un héri­ti­er. Son antonyme est wáng “mourir, dis­paraître”. L. Wieger le déchiffre graphique­ment par ” con­tin­uer à être présent dans ses fils.”

En sec­ond phrase nous trou­vons shì “augure”. Selon le Shuo Wen les deux traits supérieurs sont une anci­enne forme de shàng “au-dessus, le Ciel” auquel seraient sus­pendus les trois sym­bol­es (soleil, lune et con­stel­la­tions) représen­tés par les trois traits inférieurs. L’é­tude de leurs mou­ve­ments par l’as­trolo­gie per­me­t­trait ain­si de prévoir bon­heur et mal­heur, ce que L. Wieger inter­prète en “le Ciel instru­it les hommes”. Si nous rap­pro­chons de ce sens d’in­stru­ire le terme français “édu­quer”, nous retrou­vons par l’é­ty­molo­gie “faire sor­tir l’enfant de son état pre­mier” (P. Foulquié, Dic­tio­n­naire de la langue péd­a­gogique) ou “con­duire hors de, élever” (Lit­tré). En écho à cette émer­gence tutorée, et dans le pro­longe­ment de tout ce qui a été dit plus haut, il serait alors pos­si­ble d’in­ter­préter dif­férem­ment les trois traits du bas : un flux cen­tral émergeant de lim­ites.

Mais shì recèle encore d’autres pos­si­bles : il a désigné égale­ment l’au­tel ances­tral (un plateau sur des pieds) où s’opéraient les sac­ri­fices en direc­tion des ancêtres et des esprits shén et la pré­pa­ra­tion pour leur usage div­ina­toire des paires d’omoplates ou de plas­trons. On con­state encore l’im­age d’une paire (pour con­fronta­tion et ajuste­ment) d’où jail­lit l’e­sprit.

Nous conser­vons alors pour biàn le sens d’une mod­i­fi­ca­tion extra­or­di­naire et vigoureuse : cela ren­force égale­ment l’im­age de guid­ance et d’én­ergie, puisque nous avions déjà com­pris le car­ac­tère comme une main rec­ti­fi­ant un flux qui émerge d’une ouver­ture encadrée par deux éche­veaux de soie. Le lecteur, qui aura eu le courage de nous suiv­re jusqu’i­ci dans cette étude un peu fas­ti­dieuse, nous par­don­nera-t-il le débor­de­ment, la fan­taisie, de con­sid­ér­er les éche­veaux comme des “traits-sages de soi” ?

En vérité les hexa­grammes per­pétuent la qual­ité du moment

alors qu’en­tre les lignes sur­gis­sent les change­ments.