Le Fes­ti­val de k’an est le Fes­ti­val des salles obscures
où la lumière nous racon­te des his­toires.
Alors, est-ce bien le Fes­ti­val de K’an ou le Fes­ti­val de Li ?

Tout com­mença en 1895 grâce aux Frères Lumière1, avec la mise au point du ciné­matographe. Oserai-je les appel­er les Frères Li ? L’aventure avait com­mencé pour eux avec la pho­togra­phie et, comme si cela ne suff­i­sait pas aux yeux de ces ingénieux messieurs, ils voulurent y inclure le mou­ve­ment par la suc­ces­sion d’images. Le pari était osé pour l’époque mais ils réus­sirent dans leur entre­prise, sachant utilis­er de façon magis­trale le phénomène de per­sis­tance rétini­enne2. Le sep­tième art venait de naître. Aujourd’hui, floris­sante indus­trie, il est célébré un peu partout sur la planète au tra­vers de mul­ti­ples fes­ti­vals. Mais là ne saurait être mon pro­pos.

L’en­trée dans les salles obscures, que l’on appelle salles de “ciné­ma”, ne représente-t-elle pas ce mou­ve­ment sym­bol­ique présidé par K’an, cette entrée dans l’Insondable ? Les cinéphiles pénètrent dans ce lieu som­bre et clos afin que leur soient con­tées de belles, d’étranges ou hor­ri­bles his­toires. Qui donc leur con­te toutes ces his­toires ? La lumière, Li ! Il est rare de voir Li s’ex­primer ain­si, dans un lieu som­bre et clos, « elle » qui a pour habi­tude d’in­au­gur­er les grands espaces lumineux. Voyons cela de plus près.

Nous sommes ici au cœur d’un très beau para­doxe ; entr­er dans un lieu som­bre afin que la lumière soit. Pas de ciné­ma sans lumière. Mais une lumière infor­mée, une lumière his­toriée, quan­tifiée, qual­i­fiée, ciselée, mag­nifiée. Une lumière attrac­tive, cap­ti­vante, mag­né­tique, voire obses­sion­nelle. En pren­dre plein la vue, pleins les yeux. Ces yeux rivés sur le grand défilé des images. Quel attache­ment ! Voila bien les attrib­uts de Li n’est-ce pas ?!

Le Grand Écran. Voila ce que regar­dent ces êtres curieux, coupés du monde, tous réu­nis et assis dans cette som­bre cathé­drale, regar­dant le passé défi­lant sous leurs yeux (et dans leurs oreilles). Car il est évi­dent que c’est le passé qui bouge sur ce grand écran blanc, un passé enreg­istré sur film et stocké en bobines. Une his­toire passée ayant tout d’abord tra­ver­sé le cerveau d’un auteur, puis celui d’un scé­nar­iste, d’un réal­isa­teur, de nom­breux acteurs, d’un mon­teur, etc. Quel tra­vail et quelle équipe ! Et tout ce tra­vail pour qui, pour quoi ? Pour le ray­on de Li, la flam­boy­ante, tra­ver­sant cette matrice en mou­ve­ment (le film), pro­je­tant sur cet espace blanc immac­ulé, l’information col­orée, enreg­istrée, pour notre plaisir, moyen­nant finances. Cet écran n’est-il pas ce lieu lumineux où se déroule cette his­toire cap­ti­vante que notre cerveau prend pour argent comp­tant, cet espace de pro­jec­tion, ce lieu d’il­lu­sion suprême, d’aveuglement en même temps que de révéla­tions ? Sommes-nous bien au Fes­ti­val de K’an ou au Fes­ti­val de Li ?

A y méditer de plus près, l’acte d’entrer dans une salle de ciné­ma serait tout à fait sem­blable aux prémiss­es de l’ar­rivée de cette future vie ; la nais­sance. Ce lieu clos, cette matrice som­bre et chaude aux tonal­ités rouges, douil­lette (à présent les fau­teuils y sont con­fort­a­bles) n’est-elle pas un utérus, ce lieu Yin par excel­lence où va s’ac­com­plir le mir­a­cle de la vie ; la con­struc­tion d’un petit d’homme ? Là où juste­ment cet homme, assis dans la pénom­bre, attends que son film débute — mangeant des bon­bons tel un enfant, les suçant tel un bébé — que son his­toire débute, sem­blable en tous points à sa nais­sance, puis à sa vie, dans la lumière et le son ? Et cette his­toire de vie qui va débuter d’un instant à l’autre, va-t-elle être un drame, une comédie, un doc­u­men­taire ? Mys­tère…

Mais… Chut ! Silence… Ça tourne là-haut, dans le cerveau du tem­ple ! La lucarne s’illumine ! Li tra­verse tout à coup l’espace noir et sourd de K’an. Et voilà que, tout en face, l’histoire s’allume sur le « Grand Large ». Une nou­velle et illu­soire vie s’enflamme pour quelques deux heures d’émotions fab­riquées, savam­ment dis­til­lées par un nuage musi­cal, sou­tenant et ampli­fi­ant les ardeurs émo­tion­nelles des acteurs.

Bien avant que se soit déroulé ce lumineux spec­ta­cle, un autre, tout aus­si étince­lant, s’était offert aux yeux, aux appareils pho­tos, aux caméras, que sais-je… le défilé des stars péné­trant dans le sanc­tu­aire sur cette piste rouge et feu­trée, véri­ta­ble piste aux étoiles. Comme si K’an devait, avant tout, faire sa pro­vi­sion d’étoiles afin d’éclairer non seule­ment les yeux mais les cœurs. Acteurs à facettes ; sim­ples humains, savam­ment éclairés, maquil­lés, habil­lés, illu­minés dans ce tem­ple de la 2D (quelque fois 3D j’en con­viens) afin qu’ils devi­en­nent des Stars. Comme quoi ces Stars se fab­riquent bien dans le noir des stu­dios, puis dans le noir des salles de ciné­ma. Alors…

Alors voilà toute la magie du Fes­ti­val de K’an, de ses crépite­ments de flashs et de ses lumières en tous gen­res. Les Stars s’allument aus­si bien dans les « salles obscures » que dans l’insondable noirceur inter­sidérale. Mir­a­cle du savant mariage de Li avec K’an…

 Mer­ci encore aux Frères Li, véri­ta­bles alchimistes,
qui dans la noirceur de leur lab­o­ra­toire ont réus­si
ce tour de force de mari­er la Lumière avec les Ténèbres
afin d’obtenir cette quin­tes­sence qui nous per­met
de con­ter encore et encore des his­toires de vies cap­ti­vantes.

FIN

1 — Auguste et Louis Lumière (1852–1954 / 1864–1948) — Ingénieurs et indus­triels français ayant joué un rôle pri­mor­dial dans l’his­toire du ciné­ma et de la pho­togra­phie.

 2 — Per­sis­tance rétini­enne : phénomène qui fait qu’au-delà du 25ème de sec­onde le fameux Effet Phi (qui nous donne l’illusion du mou­ve­ment) se trans­forme, appor­tant ain­si plus de flu­id­ité dans la suc­ces­sion des images, donc dans la sen­sa­tion de mou­ve­ment.

 

Oh !

CRÉDITS IMAGES : Pierre Lautier.