« Jetez une pièce en l’air, elle retombera dans un réseau ».
John Cage.

 

Tout con­sul­tant du Yi Jing con­nait, bien enten­du, les deux manières tra­di­tion­nelles et recom­mandées, per­me­t­tant de cal­culer l’hexagramme de sit­u­a­tion, une méth­ode plus lente et plus longue, avec 50 tiges d’achillée, ou alors une méth­ode plus rapi­de et plus sim­ple, avec 3 pièces de mon­naie. Le principe restant le même quel que soit le moyen util­isé : déter­min­er de manière aléa­toire les traits Yin ou Yang, nais­sant ou mutant pour chaque ligne de l’hexagramme de sit­u­a­tion qui appa­raî­tra à la fin.

Et si l’on tes­tait d’autres manières de cal­culer cet hexa­gramme ?

C’est ce que pro­pose Remo Den­ta­to sur son site (en anglais) Cast­ing I Ching Hexa­grams (http://www.castingiching.com/), des méth­odes de son inven­tion ou modifiées/améliorées par lui, pro­posées par des inter­nautes ou encore trou­vées sur d’autres sites.

Aux deux méth­odes tra­di­tion­nelles préc­itées, Remo Den­ta­to en pro­pose donc d’autres à base de : plus de pièces ou moins de tiges, de dés à 4, 6, 7 ou 20 faces, de cartes à jouer nor­males ou de tarot, de bâton­nets de toutes tailles, de billes, de bracelets de per­les, de logi­ciels (il y en a un dévelop­pé par l’auteur sur son site).

Mais aus­si de plus exo­tiques : à l’aide des pages d’un livre, que ce soit le Yi Jing ou non, d’une toupie Feng Shui, d’une cordelette avec des nœuds basée sur le Quipu des Ketchuas, de domi­nos de type Mah Jong, d’une roue de la « for­tune », d’un jeton avec des Ba Gua dess­inés sur chaque face. Aus­si éton­nantes que pré­cis­es ces dif­férentes méth­odes, Remo Den­ta­to en pro­pose plus de 35, inter­ro­gent aus­si sur notre manière de con­sul­ter le Yi Jing.

Pourquoi vari­er des deux méth­odes tra­di­tion­nelles qui font par­faite­ment l’affaire ?

C’est sure­ment la remar­que que l’on a dû faire à l’époque à l’inventeur de la méth­ode avec les 3 pièces de mon­naie qui offrait une autre manière de faire, par rap­port à celle mil­lé­naire des tiges d’achillée. Cette «  inven­tion » n’était pas anodine, elle per­mit d’aller plus vite dans le cal­cul d’un hexa­gramme tout en mon­trant, et c’est le plus impor­tant, que l’on pou­vait garder intact le « moteur  interne » et la pré­ci­sion du cal­cul du Yi Jing. Si la manière de cal­culer l’hexagramme est « juste » peu importe alors la manière de le faire.

Remo Den­ta­to avance lui que : « trou­ver une méth­ode préférée et, éventuelle­ment, con­stru­ire le dis­posi­tif cor­re­spon­dant, pour cal­culer des hexa­grammes, aug­mente le sen­ti­ment de con­nex­ion entre la ques­tion et la réponse. »  Il met aus­si en avant trois aspects clés[1] :

  • Un aspect pra­tique : « vous pou­vez cal­cules les hexa­grammes du Yi Jing dans un petit espace (par exem­ple un siège d’avion) ou sans faire de bruit, ou en util­isant le moins d’ob­jets pos­si­ble, ou en le faisant avec le moins de tirages pos­si­ble, etc.»
  • Un aspect con­nex­ion : « vous pou­vez utilis­er un ensem­ble d’ob­jets qui ont une sig­ni­fi­ca­tion par­ti­c­ulière pour vous. Il peut s’a­gir de quelque chose d’une per­son­ne aimée ou de quelque chose qui vous rap­pelle un lieu ou une époque impor­tante et qui vous donne envie d’en­ten­dre ce que le Yi Jing a à vous dire.»
  • Un aspect esthé­tique : « Il peut s’a­gir de quelque chose d’a­gréable au touch­er ou à l’œil ; quelque chose d’élé­gant math­é­ma­tique­ment ou d’u­tile­ment chao­tique. Tout ce qui fait appel à votre pro­pre sens de la beauté.»

Mais est-ce que la méth­ode choisie ou inven­tée (aus­si belle soit-elle et même si elle nous sat­is­fait), donne une méth­ode de cal­cul juste ? Et est ce que les deux méth­odes tra­di­tion­nelles, celle des 50 tiges d’achillée et celle des 3 pièces de mon­naies, le sont aus­si ?

Ce qui nous amène à la par­tie la plus intéres­sante du site qui se trou­ve dans la sec­tion Événe­ments et prob­a­bil­ités (Events and prob­a­bil­i­ties) http://www.castingiching.com/2016/05/i‑ching-events-probabilites.html

Pour chaque méth­ode util­isée Remo Den­ta­to donne les for­mules math­é­ma­tiques pour le cal­cul des prob­a­bil­ités, soit donc :

  • les prob­a­bil­ités d’avoir une ligne Yin ou Yang dans la for­ma­tion d’un hexa­gramme,
  • les prob­a­bil­ités pour obtenir un hexa­gramme spé­ci­fique sur les 4096 (64x64) pos­si­bil­ités offertes par le Yi Jing,
  • les prob­a­bil­ités d’obtenir un hexa­gramme dérivé donc un hexa­gramme con­tenant au moins une ligne mutante
  • les prob­a­bil­ités pour déter­min­er les pos­si­bil­ités d’obtenir une ligne Yin et, ou Yang mutante dans un hexa­gramme et/ou une ligne.

Il con­sid­ère comme impor­tantes trois exi­gences pour toute méth­ode de tirage[2]:

  • Cha­cun des 64 hexa­grammes doit être pos­si­ble dans la réponse.
  • Les 64 hexa­grammes doivent tous être équiprob­a­bles dans la réponse.
  • Cha­cun des 4096 résul­tats pos­si­bles (compte tenu de la ligne mutante) devrait être pos­si­ble.

Et là sur­prise : selon les cal­culs de Remo Den­ta­to les méth­odes peu­vent présen­ter des écarts entres elles et don­ner dans des tirages, plus de prob­a­bil­ités de tomber plutôt sur un signe Yin ou plutôt sur un signe Yang, comme d’avoir plus, ou moins, de prob­a­bil­ités d’obtenir des signes mutants, et à par­tir de là plus de signes Yin ou plus de signes Yang mutants. C’est ce que mon­trent les cal­culs de prob­a­bil­ités affec­tés à chaque méth­ode.

La con­sul­ta­tion du Yi Jing, on le sait s’appuie sur une util­i­sa­tion du hasard. Face à un ques­tion­nement, une prob­lé­ma­tique  don­née on opère des manip­u­la­tions aléa­toires (avec la méth­ode de son choix)  pour avoir une infor­ma­tion sur la qual­ité du moment dans lequel on s’insère par rap­port à ce ques­tion­nement, cette prob­lé­ma­tique. On hérite, suite à ces manip­u­la­tions, d’un hexa­gramme par­mi les 64 pos­si­bles qui nous donne des indi­ca­tions sur les  agence­ments pos­si­bles du Yin et du Yang à ce moment choisi, et la façon dont on est impliqué dans la ques­tion comme des infor­ma­tions sur la meilleure stratégie à tenir en fonc­tion des con­di­tions du moment.

Comme le pré­cise Cyrille Javary dans une émis­sion sur France Cul­ture : « Pourquoi cette fig­ure en par­ti­c­uli­er ?  Parce que cette fig­ure pré­cisé­ment est appar­iée, cou­plée, mise en rela­tion avec la qual­ité du moment que l’on est en train de vivre. Le lien qui l’unit avec la sit­u­a­tion n’est pas un lien causal mais un lien plus pro­fond, un lien du vivant plus que du rationnel. »

Alors que se passe t’il si la méth­ode util­isée n’est pas à même de fournir un mode aléa­toire réel, si le hasard qui est à la base de la con­sul­ta­tion du Yi Jing est faussé, tron­qué à cause de la méth­ode de tirage ?  Est-ce que cela à une influ­ence sur la ou les répons­es pos­si­ble du Yi Jing ?

Remo Den­ta­to donne à ce sujets quelques élé­ments impor­tants :

« La per­ti­nence du hasard dans la div­ina­tion a été longue­ment débattue. D’un côté un camp affirme que le proces­sus de div­ina­tion, de par sa nature même, révèle une con­nex­ion plus pro­fonde avec la struc­ture de la réal­ité et, pour cette rai­son, la réponse n’est pas aléa­toire mais déter­minée par le moment où le proces­sus de div­ina­tion a lieu.

L’autre camp répond que rien n’échappe à la loi de la physique et que la réal­ité elle-même sem­ble être gou­vernée, au niveau quan­tique, par le hasard. Par con­séquent, les sta­tis­tiques rel­a­tives au proces­sus de div­ina­tion jouent un rôle énorme.

J’ai ten­dance à être d’ac­cord avec ce dernier point de vue : le proces­sus de div­ina­tion, pour moi, est entière­ment régi par la loi de la physique ; le car­ac­tère aléa­toire de chaque méth­ode est essen­tiel pour inter­préter les résul­tats. La prob­a­bil­ité d’obtenir une cer­taine ligne en mou­ve­ment, surtout lorsqu’il y a plusieurs lignes de change­ment, est un fac­teur à pren­dre en compte. Il est presque impos­si­ble d’obtenir six lignes Yin mutantes avec la méth­ode de la tige d’achillée (c.-à‑d. pos­si­ble mais très improb­a­ble), alors qu’avec l’u­til­i­sa­tion des « bâtons hol­landais[3] » cette méth­ode affecte des prob­a­bil­ités égales pour  chaque ligne d’avoir un signe dif­férents (Yin ou Yang, nais­sant ou mutant). Vous devez être con­scient de ces dif­férences pour inter­préter cor­recte­ment la réponse. »

Et de con­clure :

« Toute méth­ode de tirage des hexa­grammes du Yi Jing peut être car­ac­térisée, au niveau le plus abstrait, par la prob­a­bil­ité qu’elle attribue à chaque réponse pos­si­ble. »

Choisir une méth­ode de tirage n’est donc pas un acte anodin car cela peut « influer » sur le résul­tat final. L’interprétation de ce dernier doit être jaugé par rap­port à la méth­ode de tirage choisie et de la con­nais­sance des pos­si­bil­ités d’équiprobabilités d’obtention d’un hexa­gramme de la manière la plus aléa­toire pos­si­ble, ce qui per­met au con­sul­tant de mieux appréhen­der alors, la stratégie à suiv­re en toute con­nais­sance de cause.

[1] Il en avance aus­si une qua­trième qui serait d’inventer une méth­ode de tirage pour la brevet­er et la ven­dre, mais pré­cise que toutes les ten­ta­tives passées ont, échouées – le kar­ma sure­ment.

[2] Tirage doit être pris dans cet arti­cle au sens math­é­ma­tique du terme : « Action de prélever au hasard un élé­ment dans un ensem­ble ».

[3] Voir à la par­tie Stick du site de Remo Den­ta­to (http://www.castingiching.com/2016/06/i‑ching-dutch-sticks.html)


Alban Sanz

Le Yi Jing m’accompagne depuis les années 1970 où je le décou­vre par « hasard » dans le roman de Philip K. Dick : Le Maître du Haut Château (et que je m’aperçois avec stu­peur qu’il « existe » vrai­ment). Depuis je le con­sulte et l’étudie régulière­ment et suis tou­jours fasciné, comme au pre­mier jour de ma pre­mière con­sul­ta­tion, par la poésie de sa mécanique interne, sa com­plexe sim­plic­ité — un signe Yin, un signe Yang —  et par le fait qu’il « fonc­tionne », tou­jours et encore. Je planche, à mes heures per­dues, sur une sim­pli­fi­ca­tion en français du texte chi­nois archaïque.


Quelques liens :

- Si le cœur vous en dit, un tuto­riel et des con­seil pour créer sa pro­pre méth­ode de tirage : http://www.castingiching.com/2016/06/creating-casting-method.html
- La page des Événe­ments et Prob­a­bil­ités : http://www.castingiching.com/2016/05/i‑ching-events-probabilites.html