A propos de la « Traduction »
Ce projet ambitieux a déjà impliqué et impliquera encore un temps de travail très conséquent : mon approche est incrémentale et basée sur la réitération : telle l’huître j’élabore une strate sur la précédente, …mais bien souvent passe par l’oubli volontaire des acquis antérieurs, poursuivant avant tout la fraîcheur du regard.
J’ai, pour ce faire, commencé par stocker dans une base de données (qui ne sera pas publiée) pour chacun des termes et occurrences :
- les équivalents mot-à-mot donnés par les six principaux traducteurs français
- ainsi que les définitions des Dictionnaires Ricci, Couvreur et Wieger
On retrouve une partie des fruits de cette compilation dans les pages « Caractère » de L’Encyclopédie du Yi Jing. Elles sont accessibles lorsque l’on clique sur les caractères chinois des pages « Hexagramme ».
Je proposerai prochainement un index multi-entrées pour la totalité des caractères.
Dans les pages « Hexagramme » on trouve deux formes de traduction :
- colonne de gauche : ma traduction provisoire « mot-à-mot »
- colonne de droite : les premières bribes de la traduction évolutive « en phrases ».
J’ai prévu de justifier absolument tous mes choix de traduction, tant pour les mots isolés que pour les expressions composées, voire les phrases.
Cette tâche est loin d’être aboutie ; il m’a cependant paru utile de donner un aperçu de ce que produira à terme ce vaste chantier. Vous trouverez donc en bas de cet article une version provisoire « en phrases » d’un des principaux chapitres du texte classique : la Grande Image.
Grande Image
Deux raisons et demi m’ont incité à commencer par la traduction de la Grande Image :
1 ) Possibilité d’interprétation graphique de la situation par analogies successives à partir du jeu des trigrammes : ainsi les choix de traduction peuvent être guidés par la forme ou la dynamique des traits yin et yang
2 ) Très grande régularité dans la forme de la rédaction de ce chapitre pour chacun des 64 hexagrammes (elle est décrite au paragraphe suivant de cet article).
Dans une étape ultérieure la régularité de cette forme nous permettra d’infléchir encore nos choix de traduction : analyse des thèmes évoqués et tentative de constat d’une répartition géométrique équitable entre les propositions (je rédigerai prochainement un article spécifique pour préciser cette partie du projet)
2.5 ) Présence du mot-pivot « 以 ; yǐ ; ainsi » qui confirme et signe le principe de modélisation et d’analogie.
Régularité de la forme
Pour chacun des 64 hexagrammes la lecture et la compréhension du chapitre « La Grande Image » sont basées sur l’enchaînement suivant :
1 – trigrammes ⇒ 2 – éléments naturels ⇒ 3 – titre de l’hexagramme ⇒ 4 – attitude ou stratégie d’un “noble héritier” ou “anciens rois” ⇒ 5 – déduction d’une stratégie pour le consultant.
1 et 2 ) La traduction et la compréhension de la première ligne du texte se déduisent de la position relative des trigrammes inférieur et supérieur.
3 ) Tant que faire se peut j’ai choisi la traduction du titre de l’hexagramme en fonction de la dynamique des éléments naturels.
4 ) Je n’ai (pour le moment) pas trouvé de lien entre les trigrammes ou les éléments naturels et le choix du personnage historique cité en ligne 3.
La construction et le sens pour l’ensemble des hexagrammes permet de considérer que les personnages historiques s’inspiraient de la situation naturelle décrite au-dessus pour déduire un modèle à suivre.
L’attitude ou la stratégie du personnage historique est en général construite en deux temps :
- en faisant ou en étant ceci
- alors on obtient cela
5) On peut donc imaginer que lors de l’usage divinatoire, ou même d’une méditation personnelle sur les textes, la sagesse supposée des personnages historique est un modèle comportemental pour le consultant.
Mandat du Ciel
C’est de ce principe de modélisations successives « énergétique –> nature –> fils du ciel –> consultant » que je déduis cette traduction peu orthodoxe « d’héritage noble ». Il y a en effet parmi les fondamentaux de la culture chinoise cette vision particulière de ce nous nommons habituellement en occident « la destinée » : 天命 ; tiān mìng ; le Mandat du Ciel.
Un autre nom du Yi Jing est « Zhou Yi » (changement des Zhou »). C’est précisément sous la dynastie Zhou que le concept de Mandat du Ciel est apparu, justifiant même sa prise de pouvoir et le renversement de la dynastie précédente les Shang. Son principe supposait que le Ciel rend légitimes aux yeux et aux oreilles du peuple les dirigeants sages et vertueux, et cesse son approbation de leurs décisions et comportements s’ils se conduisent mal.
Toutes les manifestations de la nature étaient interprétées comme des messages du Ciel. Les catastrophes naturelles témoignaient ainsi le désaccord avec la « voie naturelle ». Ces phénomènes autorisaient alors le peuple à réfuter et remplacer ses dirigeants.
Une autre traduction du mot « 命 ; mìng ; Mandat » est tout simplement « vie ». Étendue au commun des mortels « 天命 ; tiān mìng » se traduit donc également par « accomplir sa vie ».
Noble héritier ?
En conséquence dans l’usage divinatoire du Yi Jing (et plus particulièrement dans la lecture et l’interprétation de la Grande Image) le projet global est l’adéquation :
- Adéquation aux images naturelles qui expriment la Voie (道 dào) du Ciel synthétisée par le jeu des trigrammes
- Le modèle comportemental est humanisé par la déduction du comportement vertueux (德 dé) auquel s’appliquent les dirigeants historiques, qui deviennent donc eux-mêmes des modèles pour le peuple, invitant tout un chacun à se comporter « en accord avec sa destinée ».
- Dirigeant sa propre vie, celui qui questionne le Yi Jing se positionne donc en bout de chaine et hérite de ces modèles naturels et nobles
…D’où l’expression « Noble héritier » pour traduction de « 君子 ; jūn zǐ ».
En résumé, le noble héritier s’inscrit dans l’appropriation d’un modèle supérieur/antérieur et en prend la responsabilité pour :
- l’accomplissement de sa vie
- le renforcement de l’harmonie naturelle et collective
Remarque : J’ai longtemps considéré que la traduction de Cyrille Javary « être accompli » pour l’expression jūn zǐ était la meilleure proposition. Mais “accompli” ne me paraît désormais pas refléter la dynamique de ce mouvement et l’engagement personnel à participer aux flux porteurs.
« Jūn zǐ » et quelques autres mots ou expressions (Ji, Xiong, De, Ming, etc.) apparaissent beaucoup plus fréquemment dans le texte du Yi Jing : leur traduction a en conséquence d’autant plus d’importance : ils seront donc travaillés et reconsidérés jusqu’au dernier jet. L’expression « noble héritier » n’est donc probablement qu’un héritage provisoire…
En guise de conclusion
Revenant à la traduction de la Grande Image, même si je ne la considère pas suffisamment aboutie (nous n’en sommes qu’à la version 1.7 et je suppose qu’il y a en aura environ 7 ou 8), cette version permet donc déjà de :
- questionner les traductions de référence
- vous inviter à réflexion et expérimentation
Il y a en effet suffisamment de blanc autour des mots pour que chacun l’annote, la personnalise ou la complète à sa manière.
J’ai orienté mes choix de traduction de façon à ce que le “noble héritier” que nous tentons d’incarner y trouve une stratégie applicable à différents de lecture et en toutes circonstances.
Je vous propose donc de la « pratiquer » c’est-à-dire de vérifier sa pertinence lors de vos tirages (…et serais très heureux si vous acceptiez de me communiquer vos retours d’expériences !)