- Comment le Yi Jing est-il considéré aujourd’hui en Chine ?
Le Yi Jing est d’une part considéré comme une superstition de l’ancienne société : celui dont nous parlons habituellement est le Yi Jing des lettrés, le Yi Jing confucéen, mais il en existe une dérive vulgaire « le Yi Jing du marché », avec lequel des devins prédisaient le futur aux paysans illettrés contre rétribution, un peu comme nos cartomanciennes et autres diseurs d’horoscope. Assimilé à une superstition de l’ancien système féodal, sa pratique « divinatoire » a donc à ce titre été officiellement interdite …interdiction bien entendue appliquée selon l’humeur politique du moment !
Le « Classique des Changements » est d’autre part regardé comme un trésor de l’ancienne Chine, racine de la civilisation chinoise. Des dizaines de professeurs sont payés par le gouvernement pour l’étudier et exposer leurs conclusions au cours de symposiums internationaux sur l’art de « gérer l’imprévu ». Des résultats remarquables sont en effet obtenus par l’application de la vision « Yi Jing » à la gestion des séismes ou l’analyse des rapports de force dans une entreprise.
- Et le Yin Yang dans tout çà ?
« Yang est ce qui a envie de devenir Yin. Yin est ce qui a envie de devenir Yang » (Wang Bi, philosophe chinois du 3e siècle) .
L’analyse des idéogrammes permet de traduire cette dynamique par « Yang : le soleil se sépare de la pluie », « Yin : les nuages s’accumulent ». Ces deux notions représentent bien autre chose que des états : au pire elles décrivent un changement d’état. Ce sont plus précisément des changement de climat, de saisons, l’évocation de la variation de la trame, du fond qui constituent les événements et sur lesquels s’appuient nos actions. Nous sommes loin de la traduction la plus répandue de Yin-Yang : Féminin-Masculin. Homme/Femme sont en effet des catégories stables. On s’incarne inévitablement et de façon définitive homme ou femme. Cette vision « sexuée » néglige donc l’essentiel : la capacité à manifester sous des formes apparemment opposées un même flux selon des variations cycliques (alternances jour/nuit ou saisons).
Et c’est dans le Yi Jing qu’apparaît la première description synthétique du coupleYin Yang : « Un yin, un yang, c’est ainsi que cela fonctionne ». Il s’agit bien ici d’un couple (au sens énergétique !), comme celui constitué par les deux bras d’un pédalier, semblant agir en directions inverses, mais participant et nourris d’un même élan. Le génie de la pensée chinoise réside par-dessus tout dans la représentation au sein du Yi Jing de Yin et Yang sous la forme élémentaire de traits redoublés ou continus. Grâce à cette abstraction géométrique l’élaborationYin Yang des hexagrammes permet en effet à n’importe qui de lire et (potentiellement… !) de comprendre l’organisation dynamique des 64 situations-types du Yi Jing sans nécessairement apprendre le chinois ou lire une traduction.
- Quel peut être l’apport du Yi Jing à la pensée occidentale ?
Notre vision cartésienne a pour socle la culture judéo-chrétienne, elle-même ancrée dans la pensée platonicienne. Y sont développées les notions de vérité (par essence éphémère) et d’idéal (par essence inaccessible). L’intellect occidental, passant de l’idée à l’idéal, court le risque de mettre hors d’atteinte ce qu’il vise et s’efforce cependant de se rapprocher au plus près de la définition parfaite, du modèle imaginé. Il utilise d’ordinaire pour ce faire une approche « en ligne droite » cherchant à relier situation de départ et objectif par la voie géométriquement la plus courte. En cours de route, l’analyse de l’évolution des circonstances et la comparaison au « modèle initial » conduit à réviser l’orientation, voire le modèle. On pourrait résumer cela par « voie du raisonnement ». Négligeant les « définitions définitives », le Yi Jing suggère lui aussi l’adaptation aux circonstances, mais observe également que le contexte va inévitablement changer, évoluer vers des formes présentant une forte analogie avec des situations déjà vécues. L’expérience montre par exemple qu’après la saison chaude viennent inévitablement humidité et froid globalement analogues à ceux que nous avons connu l’automne et l’hiver précédents. On pourrait résumer cela par « voie rationnelle ». Le Livre des Changements s’attache donc à nous révéler les germes, les potentiels contenus dans la situation actuelle. Loin de nous dévoiler l’inconnu, il nous permet simplement de reconnaître par analogie ce que nous connaissons déjà. Ayant identifié ce qui est « porteur » on le chevauche alors pour réaliser ses objectifs, ou au pire attendre le moment propice. Le Yi Jing permet ainsi à la pensée occidentale de glisser du « défini » au « perpétuel ».
Le texte reproduit ici fait de nombreux emprunts aux propos de Cyrille Javary