La première occurrence du mot “voir” (見 jiàn) dans le texte du Yi Jing correspond au 1er mot du second trait de hexagramme 01. Elle vient cependant en écho et rime avec le 1er mot du 1er trait : 潛 qián “caché” . Lui-même vient en écho au 1er mot du Jugement, titre de l’hexagramme 乾 qiān “créatif” et se prononce presque de la même manière (le ton est toutefois différent). C’est le seul endroit du texte canonique où 潛 qián “caché” est employé.
潛 龍 勿 用 qián lóng wù yòng caché ; dragon ; pas ; agir
Cyrille Javary le traduit par “tapi dans l’onde”, certainement en partie pour souligner le caractère aquatique du dragon asiatique en contraste avec le dragon cracheur de feu occidental, mais tout à fait en accord avec l’étymologie du mot (il contient à gauche la clé de l’eau) et de nombreuses possibilités de traduction faisant référence à l’univers aquatique. La partie droite du mot représente une épingle à chignon. Le sens est donc de retenir le débordement d’une vive fluidité (une des traduction désigne un vivier, un barrage de branchages pour retenir les animaux aquatiques). En médecine chinoise traditionnelle on désigne ainsi l’action de “couvrir” un yang trop fort afin de le réduire.
1er mot du 1er trait de l’hexagramme le plus yang, le plus éclatant, nous avons cependant bien le sens d’un masquage provisoire. La transformation de ce trait conduit à l’hexagramme 44, où il n’est donc pas surprenant de trouver au premier trait : 見 凶 jiàn xiōng “visible fermeture”…
Remarquons au passage que cette expression est l’illustration parfaite que 凶 xiōng “fermeture”, (58 occurrences dans le Yi Jing, tout de même) est à tort trop souvent traduit par “malheur, néfaste”… Mais cela aussi sera prétexte à d’autres articles : le “mauvais agencement du flux vital” n’est pas forcément nuisible !
Retenons pour le moment le caractère 壯 zhuàng “puissant, vigoureux” caractérisant le Jugement de l’hexagramme 44 (女壯 nǔ zhuàng “femme ; fort”).
Le même mot apparaît en titre de l’hexagramme 34 “Grande Force” ou le yang atteint la quatrième place, déborde de la profondeur de l’hexagramme et se rend ainsi visible au dessus de la surface. Parmi les diverses propositions étymologiques on peut voir à droite un branchage fruit d’un élagage et à gauche le symbole de la terre ou d’un tertre vertical : l’image précédente du vivier fait ici place à la contention par des branchages d’une masse de terre, conférant ainsi à un mur solidité et soutien à l’émergence de la verticalité.
Complétons ces résonances en soulignant la reprise au jugement de l’hexagramme 44 de l’expression 勿用 wù yòng “pas ; agir” qui conclut le texte du trait 1 de l’hexagramme 01.
Pour les sens dérivés de 潛 qián “caché” nous trouvons : “se cacher, se retirer”, mais aussi les notions de potentiel, de latence. Plus près de notre analyse sur la vision il y a également : “profondeur, évaluer, approfondir ou se concentrer sur”. Voilà qui correspond bien à la première caractéristique de la Vision Juste : “Concentration énergique préalable, prenant le parti de la profondeur initiale dont découle une puissance pénétrante”.
La concentration, le maintien dans la profondeur de son centre, est indéniablement une qualité yang. Il n’est donc finalement pas si paradoxal que le 1er mot du 1er trait de l’hexagramme le plus yang (celui qui se projette vers l’avant et rayonne vers l’extérieur au risque de la superficialité) évoque la profondeur et la concentration.
Il n’est donc finalement pas si paradoxal de consacrer tout un article dédié à la vision au mot “caché” !
Divination et Vision juste (3/12)
Divination et Vision juste (5/12)