Du Sport à la Méditation : Une Lecture à travers les Mutations

Préambule : La Voie des Transformations

À l’i­mage du Yi Jing, qui observe les muta­tions per­pé­tuelles du monde, cet article tra­verse les fron­tières conven­tion­nelles entre sport, arts mar­tiaux et médi­ta­tion.

L’ensemble du texte adopte une approche qui peut sem­bler décou­sue d’un point de vue occi­den­tal. J’y traite de la médi­ta­tion selon une vision holis­tique qui trans­cende les limites conven­tion­nelles. C’est véri­ta­ble­ment une atti­tude Yin-Yang, qui refuse de se can­ton­ner à une spé­cia­li­té étroite pour embras­ser une vision plus large. L’holistique y repré­sente un pôle du YinYang, l’autre étant occu­pé par l’apport de thèmes appa­rem­ment hors sujet. Rap­pe­lons que tra­di­tion­nel­le­ment tout est relié dans la pen­sée antique, donc dans celle du Yijing. La tra­di­tion auto­rise une vision plus éten­due que celle des spé­cia­li­sa­tions tech­niques modernes et à vue courte.

Cette approche tient compte de notre époque, de mon vécu per­son­nel, du milieu des Arts Internes Chi­nois et mar­tiaux d’A­sie que je connais assez bien. C’est une vision glo­bale, dépas­sant les conven­tions, et donc néces­sai­re­ment per­son­nelle. J’es­père que vous y trou­ve­rez matière à réflexion.

Je ne cherche pas le “pro­grès” mais plu­tôt l’har­mo­nie avec les trans­for­ma­tions natu­relles ancrées dans la com­pré­hen­sion du Yin-Yang et du Qian-Kun 乾/坤. Par la consul­ta­tion de l’o­racle, nous appre­nons à lire les signes du chan­ge­ment dans notre pra­tique quo­ti­dienne.

Le livre de Didier Goutman

De l’Entrainement Physique à la Voie Spirituelle

Il y a cin­quante ans, j’ai com­men­cé à m’in­té­res­ser sérieu­se­ment à l’en­tre­tien cor­po­rel. Mes voyages fré­quents m’ont fait com­prendre que la course à pied seule ne suf­fi­sait pas à pro­té­ger ma vie. Le Yijing me sau­va la vie. Puis j’étudiai les arts mar­tiaux – boxe fran­çaise, kara­té, kung-fu – m’ont d’a­bord mis en contact avec l’Es­prit Che­va­le­resque, puis avec la Voie du guer­rier. Mon pre­mier pro­fes­seur de Kung-fu, jeune chi­nois nom­mé Chen Su, nous ensei­gnait que la pra­tique de l’Art mar­tial chi­nois équi­va­lait à l’entrée dans un monas­tère inté­rieur. Je lisais à cette époque les chro­niques du regret­té Hen­ri Plée, qui inci­tait à voir dans les Arts mar­tiaux une Voie d’É­veil. Ma ren­contre avec le Tai­ji­quan s’est faite alors que j’a­vais déjà été ini­tié au souffle interne (QI) par le Kara­té et le Kung-fu.

La Mutation du Guerrier

Mon par­cours illustre la trans­for­ma­tion natu­relle de Shi (H7師, la Troupe, l’Équipe) où le mou­ve­ment est diri­gé par un ani­ma­teur ou un supé­rieur, pour aller vers des formes plus sub­tiles d’ex­pres­sion mar­tiale : l’habileté géné­rale de soi-même, nom­mée Kung-Fu.

Le sol­dat obéit sans pen­ser, mais le guer­rier est auto­nome.

Il obéit ou non, et pense par lui-même.

À l’é­poque de l’ap­pa­ri­tion de Face­book, où je n’ai jamais eu de compte, j’é­tais déjà suf­fi­sam­ment auto­nome pour éva­luer ma vie de façon indé­pen­dante. Nul besoin de médailles ou d’ap­pro­ba­tion sociale concer­nant mon mode de vie, que je savais juste pour ma per­sonne. 

Les cein­tures de toutes les cou­leurs, qu’il faut gagner au com­bat ou devant un jury, sont excel­lentes pour moti­ver les enfants. Il en va de même avec les dan-duan. Cha­cun doit évo­luer selon ses expé­riences per­son­nelles. Les nota­tions sociales et la quête des “likes” ne cor­res­pon­daient pas du tout à mon évo­lu­tion, bien qu’on m’ait incul­qué ce type de valeur durant mon enfance sco­laire. Plus je vieillis plus je m’éloigne de ces valeurs super­fi­cielles du mérite mesu­ré, il est limi­tant. En s’é­veillant, on réa­lise que les médailles ne sont que des ins­tan­ta­nés fugaces et super­fi­ciels d’un moment déjà pas­sé, et qu’on regarde der­rière soi au risque de tré­bu­cher. Je ne pré­tends abso­lu­ment pas être dénué de dési­rs petits, et je ne recherche pas la per­fec­tion. Je fais avec ce qui est ici au mieux de mes pos­si­bi­li­tés. C’est assez, c’est suf­fi­sant.

La Véri­té Inté­rieure est simple : on se leurre ou on ne se leurre pas soi-même, j’ex­pé­ri­mente les deux états, et je m’accepte avec mes imper­fec­tions.

Dans mon acti­vi­té péda­go­gique d’enseignement du Tai­ji­quan et Qigong, j‘essaie de faire pas­ser les valeurs qui émanent du Yin-Yang et de la culture tra­di­tion­nelle chi­noise et autres. Le Yijing et le cha­ma­nisme de son ori­gine sont cachés sous le tapis. Nul délire, la réa­li­té simple.

L’Himalaya et la Méditation

Je dois pré­ci­ser que je n’ai jamais voya­gé en Hima­laya, Dans mes cours, j’é­voque sou­vent l’Hi­ma­laya, cette mon­tagne émi­nente vers laquelle, en Asie, tous les peuples envi­ron­nants envoient des per­sonnes médi­ter en grotte. Il en redes­cend des Sages qui voyagent et trans­mettent. Je dois pré­ci­ser que je n’ai jamais voya­gé en Hima­laya, mais j’ai ren­con­tré plu­sieurs per­sonnes qui ont fait ce par­cours. Ces indi­vi­dus ne cor­res­pondent d’ailleurs pas aux sté­réo­types qu’on peut ima­gi­ner. Chaque ermite tem­po­raire, lorsqu’il redes­cend, a vécu une expé­rience unique.

Gen 艮 (H52), le regard de mon­tagne évoque la sta­bi­li­té. Le mou­ve­ment per­pé­tuel des Nuages Dui兌 (H58) qui entoure les cimes, évoque le tra­vail de la médi­ta­tion sur l’observation de nos pen­sées.

Les monas­tères chi­nois, tibé­tains, mon­gols ou sibé­riens pro­posent depuis tou­jours une expé­rience simi­laire. Cer­tains dojos euro­péens suivent la même voie. Ils ne s’in­té­ressent pas au sport – c’est le sport qui s’in­té­resse à eux.

La Recherche de Performance

De nom­breux spor­tifs de haut niveau s’in­té­ressent à tout ce qui peut amé­lio­rer leur per­for­mance. C’est ain­si qu’ils découvrent l’as­pect médi­ta­tif des Arts Internes Chi­nois ou d’A­sie. Cer­tains chefs d’en­tre­prise et tra­vailleurs indé­pen­dants dési­rent éga­le­ment à opti­mi­ser leur fonc­tion­ne­ment. C’est alors qu’ils adoptent des élé­ments ensei­gnés dans le par­cours médi­ta­tif des Maîtres de ces futurs élèves qui esca­ladent la mon­tagne pour par­fois la redes­cendre.

Science et Tradition : Les Mutations du Savoir

La science moderne mani­feste un cer­tain aspect du Yang, tout comme la tra­di­tion incarne un autre aspect de la connais­sance cor­ré­lé au Yin du couple Yin/Yang. À mes yeux, la connais­sance antique, vaut bien la connais­sance moderne. La visite d’une pyra­mide, ou du grand men­hir bri­sé de Loc­ma­ria­quer (360 tonnes) est suf­fi­sam­ment impres­sion­nante pour nous faire entre­voir le mys­tère de l’expression variée des pos­si­bi­li­tés tech­niques issues de la pen­sée ima­gi­na­tive humaine. Les gens du pas­sé ont été aus­si « for­tiches » que ceux d’aujourd’hui.

Quand la science étu­die la médi­ta­tion, ce qui eut lieu en Amé­rique du Nord, ce n’est pas pour la “vali­der” ou l’ ”amé­lio­rer”, mais pour obser­ver une autre facette de la réa­li­té, comme le Yijing observe les dif­fé­rentes facettes d’une situa­tion. Les pro­grammes de pleine conscience en milieu hos­pi­ta­lier ont inté­gré les connais­sances du boud­dhisme tibé­tain à la recherche médi­cale en car­dio­lo­gie et en neu­ro­lo­gie appli­quée. Cela a induit l’apparition de nou­velles res­sources thé­ra­peu­tiques, à la por­tée des indi­vi­dus qui s’auto-soignent ain­si par la médi­ta­tion, l’hypnose et d’autres méthodes spi­ri­tuelles.

En Chine le pro­gramme Qigong ini­tié en 1950 a aus­si don­né de nom­breux fruits avec des méthodes de soins géné­rales et d’autres pour de nom­breux troubles très pré­cis, des plus bénins jusqu’au can­cer. On tra­vaille aus­si à la recherche sur le Qi en hôpi­taux avec des résul­tats posi­tifs avec la pro­jec­tion de QI manuelle, sonore ou par l’intention men­tale du Maître Qigong.

Toute trans­for­ma­tion com­porte un risque. Quand la science va plus vite vers la nou­veau­té que ce que nous pou­vons mesu­rer des effets de son inno­va­tion, il y a le réel dan­ger d’un déve­lop­pe­ment trop rapide, sur­tout en ces temps de mon­dia­li­sa­tion. D’où une panique en temps de Covid impré­vu. Le Yijing conseille­rait une dimi­nu­tion. H41 est Dimi­nuer ou l’hexagramme du Chan­ge­ment de Valeur, de leur retour­ne­ment ryth­mique. Ce qui revient à dire que l’innovation doit ger­mer dans un besoin humain res­sen­ti. Elle n’a pas à être aban­don­née au besoin du capi­ta­lisme finan­cier ou d’une dic­ta­ture quelle qu’elle soit.

Cela vaut pour le clo­nage, les mani­pu­la­tions géné­tiques, et de très nom­breuses autres recherches par­mi les­quelles celle sur les vac­cins Arn, trop frais pour être cré­dible sans risque. On ne doit pas perdre de vue que le capi­ta­lisme le plus sou­vent est mal­hon­nête par uti­li­sa­tion de sub­ter­fuges, tru­cages et men­songes, non pas parce que le capi­ta­lisme est le mal (il n’est qu’un excès non contrô­lé, celui de l’accumulation d’appropriation), mais parce que l’être humain a des aspé­ri­tés dan­ge­reuses en tant que récent pre­mier pré­da­teur sur terre.

Rap­pe­lons l’époque de la révo­lu­tion cultu­relle Maoïste. En ces temps-là, en Chine pra­ti­quer les Arts d’Asie que nous aimons était puni gra­ve­ment. Les Maîtres étaient humi­liés, bat­tus dans la rue par les gardes rouges. Je me sou­viens d’avoir ren­con­tré la fille de Wang Zhang Haï un Maître à la haute répu­ta­tion de com­bat­tant et d’enseignant. Elle était han­di­ca­pée d’une jambe suite à un coup de crosse de fusil lors d’une de ces exac­tions de la jeu­nesse mani­pu­lée.

Le juge­ment sur les situa­tions est très rela­tif selon les époques. Le temps est rela­tif tout court. Nos per­cep­tions sont rela­tives. La Véri­té en science est rela­tive aux connais­sances d’une époque. C’est pour­quoi dans les temps anciens tout chan­geait, mais plus len­te­ment. Les alchi­mistes ne livraient pas tout.

La vitesse actuelle de l’innovation n’est pas rai­son­nable. Le rythme est désac­cor­dé donc pré­ju­di­ciable. C’est le sens que je donne à l’idéogramme Xiong 凶 fré­quent dans le Yijing et tra­duit par d’autres en fer­me­ture. Pour moi, pour la culture ancienne chi­noise et pour la micro­phy­sique, tout est rythmes. Xiong traite d’un rythme inap­pro­prié, ce que je déve­loppe dans mon ouvrage Yijing en cours de fini­tion.

Au Japon, nombre de Maîtres d’Arts mar­tiaux pra­tiquent la Médi­ta­tion, jus­te­ment pour entrer dans le rythme appro­prié Ji 吉. C’est banal, en Chine de même. Le gou­ver­ne­ment chi­nois dans sa période mar­xiste n’était pas favo­rable à la pra­tique des arts mar­tiaux. Le niveau de leur pra­tique a alors beau­coup bais­sé là-bas, par le fait de la res­tric­tion de la liber­té d’investigation sur les capa­ci­tés humaines dans tel ou tel domaine. En par­ti­cu­lier il était inter­dit de pra­ti­quer les Arts oppo­sant des Chi­nois entre eux, donc l’aspect mar­tial du Wushu. Ce n’était pas nou­veau, la plu­part des gou­ver­ne­ments impé­riaux se sont tou­jours méfié des écoles mar­tiales sus­cep­tibles de fomen­ter des troubles pou­vant mener à la révo­lu­tion, le chan­ge­ment de man­dat chi­nois.

L’Expression du Qigong

Le Qigong en Chine illustre com­ment une pra­tique se trans­forme selon les époques et les lieux, sans pour autant “pro­gres­ser” ou “régres­ser”. Comme le Yijing nous l’en­seigne, chaque situa­tion contient les germes de sa trans­for­ma­tion. Les effets obser­vés en milieu hos­pi­ta­lier ne sont ni “meilleurs” ni “pires” que ceux obser­vés tra­di­tion­nel­le­ment – ils sont sim­ple­ment dif­fé­rentes mani­fes­ta­tions du même phé­no­mène du besoin de gué­ri­son et d’entretien de la vie, ce qui se réa­lise par la dou­ceur et la fer­me­té Yin-Yang Qian-Kun du mou­ve­ment médi­ta­tif.

Les Expressions de la Pratique Méditative

1. Le Corps en Mutation

Le centre de gra­vi­té dans le bas-ventre est un point d’ob­ser­va­tion des trans­for­ma­tions conti­nuelles du corps. Cette zone que la méde­cine tra­di­tion­nelle chi­noise nomme Dan Tian (丹田) n’est pas un point à “déve­lop­per” mais à obser­ver dans ses muta­tions per­pé­tuelles, et aus­si à nour­rir par l’intention et le com­por­te­ment ver­tueux des inten­tions.

Notre corps n’est pas une machine à “amé­lio­rer” mais un champ de trans­for­ma­tions à obser­ver :

  • Les mou­ve­ments du souffle
  • Les cycles d’éner­gie
  • Les alter­nances de ten­sion et de relâ­che­ment
  • Les muta­tions de la conscience cor­po­relle et non-cor­po­relle, donc spi­ri­tuelle

Dans les Arts mar­tiaux, mais aus­si en danse, en gym­nas­tique, sur des skis ou une bicy­clette, la per­cep­tion non-consciente mais fine­ment orga­ni­sée de notre centre de gra­vi­té est indis­pen­sable à l’équilibre. Nous vivons avec cela à chaque pas d’une pro­me­nade, et ce n’est pas conscient.
Le Tai­ji­Qi­gong de l’Eau, une de mes spé­cia­li­tés de taoïste non-ali­gné sur « l’isme » du Dao déve­loppe l’étude de l’Eau dans le corps en Tai­ji­quan, le Qigong et la Vie Quo­ti­dienne. Comme l’Eau est le pre­mier ingré­dient de notre corps (70 % de la masse) on agit for­te­ment sur notre matière glo­bale en s’associant à l’eau par la fusion d’un esprit actif à s’unir à la matière sans prendre le contrôle comme un dic­ta­teur. On s’aperçoit que l’eau et que ce qu’elle porte en dis­so­lu­tion plus ou moins épaisse et géla­ti­neuse (le corps) par­ti­cipe de la qua­li­té de nos pen­sées………………. Chouette Médi­ta­tion pra­tique.

2. L’Esprit en Mutation

L’at­ten­tion n’est pas une capa­ci­té à “déve­lop­per” mais un état natu­rel à obser­ver dans ses trans­for­ma­tions.

Les états de conscience se trans­forment natu­rel­le­ment, cela mute du Yin vers le Yang et vice-ver­sa :

  • Dans le mou­ve­ment : comme les trans­for­ma­tions des hexa­grammes
  • Dans la rela­tion à l’autre : comme l’al­ter­nance du balan­ce­ment de l’eau dans le corps qui danse, ou res­pire sim­ple­ment.
  • Dans la per­cep­tion des muta­tions et des situa­tions

L’Observation des Transformations

Les Cycles du Réel et de l’Imaginaire

Zhong Fu 中孚 c’est H51, la Foi en tant que sen­sa­tion spi­ri­tuelle indé­pen­dante des reli­gions. Elle nous rap­pelle que l’ob­ser­va­tion des trans­for­ma­tions inté­rieures révèle la même véri­té que l’ob­ser­va­tion des muta­tions exté­rieures. L’i­ma­gi­naire et le réel ne sont pas deux états à “récon­ci­lier” mais deux aspects d’une même réa­li­té en per­pé­tuelle muta­tion.

Depuis cin­quante ans, ma pra­tique ne s’est pas “amé­lio­rée” – elle s’est trans­for­mée, comme les situa­tions du Yijing se trans­forment l’une en l’autre. Cer­tains aspects se sont mani­fes­tés tan­dis que d’autres se sont estom­pés, dans une danse natu­relle sem­blable aux muta­tions des hexa­grammes.

Nous pro­gres­sons et nous régres­sons simul­ta­né­ment, mais pas sur les mêmes plans.

L’Observation Sans Jugement

La pra­tique de l’ob­ser­va­tion rejoint direc­te­ment l’es­prit du Yijing. Il ne s’a­git pas d’at­teindre un état “supé­rieur” mais d’être témoin des trans­for­ma­tions, par­fois de réus­sir à che­vau­cher la crête de la vague, tout comme l’o­racle observe les muta­tions sans les juger, et incite par­fois à mar­cher sans crainte sur la queue du tigre. C’est ce qu’exprime H10 Lu, la Démarche par­fois rituelle et médi­ta­tive. Cette approche cor­res­pond aus­si à Guan 觀 H20 regar­der avec recul, et aus­si dans l’invisible. Alors le regard n’est pas un but, ou une forme de l’esprit à atteindre, mais une manière d’être uni avec ce qui est.

Les dif­fé­rents aspects obser­vés sont comme les élé­ments d’un pay­sage :

  • Les pen­sées : des nuages qui passent, reviennent ou se trans­forment
  • Les émo­tions : des vagues sur l’eau du corps phy­sique
  • Les sen­sa­tions : des varia­tions de vents qui nous tra­versent (des Qi)
  • L’in­tui­tion : égaux aux chan­ge­ments de lumière et d’ombre, insai­sis­sables flux

Les Cycles Naturels

Les Mutations du Corps et de l’Esprit

Le corps et l’es­prit ne sont pas deux enti­tés à “uni­fier” mais deux aspects d’une même réa­li­té en per­pé­tuelle trans­for­ma­tion. Comme le Yin et le Yang ne sont pas des oppo­sés à “récon­ci­lier” mais des aspects du même objet que l’on observe. Nos sen­sa­tions phy­siques et men­tales sont des expres­sions dif­fé­rentes d’une même réa­li­té : le fait que nous soyons vivants.

La zone du ventre, pre­mier Dan­tian, n’est pas un “centre à déve­lop­per” mais un point d’ob­ser­va­tion des muta­tions. Cette obser­va­tion peut le réveiller, donc le trans­for­mer ou l’animer.

L’esprit nour­rit alors l’alchimie de la vie par :

  • Les cycles du souffle
  • Les trans­for­ma­tions de l’éner­gie
  • Les alter­nances de l’at­ten­tion
  • Les muta­tions de la conscience

L’Expression des Cycles

Notre pra­tique suit natu­rel­le­ment les cycles décrits dans le Yijing :

  • Moments d’ac­tion et de repos
  • Phases d’ex­pan­sion et de retrait
  • Périodes de clar­té et d’obs­cu­ri­té
  • Cycles d’ex­pres­sion et de silence

La Pratique Méditative dans les Arts martiaux et le Qigong

1. Centrer le Corps

Près du centre de gra­vi­té du corps, dans le bas-ventre, existe une orga­ni­sa­tion éner­gé­tique ou sen­sible. Elle per­met d’ob­te­nir des effets sans pas­ser par notre cer­veau, trop lent et inadap­té à cer­taines tâches. Ce fonc­tion­ne­ment ven­tro-cen­trique a don­né nais­sance aux théo­ries sur le “deuxième cer­veau” humain. Bien que lar­ge­ment incons­cient, on peut nour­rir son acti­vi­té en y por­tant atten­tion. Il nous per­met alors d’ac­com­plir cer­taines actions maté­rielles et visibles de manière amé­lio­rée.

La nature du centre ven­tral est Yin, cachée. Ce Yin caché est acces­sible par l’es­prit atten­tif, mais le cer­veau crâ­nien ne doit pas en prendre le com­man­de­ment.

Notre ego doit apprendre à se sou­mettre, à sen­tir le centre ven­tral et à le lais­ser s’ex­pri­mer libre­ment, sans inter­fé­rer comme un chef ou un dic­ta­teur.

Grâce à ce centre, nous pou­vons :

  • Nous concen­trer pour gagner en puis­sance dans les Arts mar­tiaux
  • Sai­sir le moment pré­cis de la déci­sion en situa­tion de sur­vie
  • Lais­ser notre corps prendre des déci­sions vitales sans inter­fé­rence de la pen­sée dis­cur­sive
  • Déve­lop­per un ventre fort qui amé­liore notre san­té et notre confiance cor­po­relle

2. Centrer l’Esprit

Ma pre­mière ensei­gnante de Tai­ji­quan, Clau­dine Shi­no­da, une Fran­çaise mariée à un Japo­nais, nous appre­nait à sen­tir le ventre, la zone du centre de gra­vi­té, en inten­si­fiant pro­gres­si­ve­ment l’At­ten­tion de notre Esprit.

Le secret de « l’Es­prit Yang, mari du Corps Yin Femelle, » réside d’a­bord dans l’At­ten­tion :

Qu’elle soit ver­tueu­se­ment neutre ou dans le non-désir !

  • En appre­nant un nou­veau mou­ve­ment de Tai­ji­quan ou de Qigong, soyez au pré­sent
  • En rece­vant l’ap­pui de votre par­te­naire en Tui-shou, soyez au pré­sent
  • En cher­chant à per­ce­voir l’in­ten­tion d’un adver­saire à dis­tance, sen­tez au pré­sent

Dans tous ces cas, la qua­li­té de votre atten­tion à l’é­vé­ne­ment est la véri­table clé du suc­cès de votre démarche. Appré­cier l’ex­pé­rience sen­so­rielle réel­le­ment vécue recon­necte l’es­prit et le corps. Le monde vir­tuel déve­loppe des sub­sti­tuts qui nous décon­nectent de la réa­li­té. La vie sur écran n’é­gale pas la vie pleine et entière, qui se déploie dans ses mul­tiples dimen­sions dépas­sant le 2D aug­men­tée de la dimen­sion sonore du smart­phone.

Connecter l’Esprit au Corps

Connec­ter son esprit au corps par le centre cor­po­rel habi­tue l’es­prit à trou­ver son équi­libre entre les pos­si­bi­li­tés men­tales et ima­gi­naires (comme le rêve ou les pro­jets éveillés) et la réa­li­té du ter­rain ici et main­te­nant de notre être corps-esprit Yin-Yang.

Un bon intel­lec­tuel a le sens pra­tique en éveil. Il est aus­si spor­tif ou bri­co­leur, rêveur et réa­liste.

Le second secret de l’es­prit consiste à com­prendre que tout ce qui est ima­gi­naire est réel, mais pas néces­sai­re­ment maté­riel. Ce qui est ima­gi­né peut se réa­li­ser. Nos pro­jets se concré­tisent par­fois, bien que cela demande par­fois un long et coû­teux tra­vail ou que cela sur­vienne natu­rel­le­ment.

Depuis cin­quante ans, je n’ai ces­sé d’i­ma­gi­ner ma pro­gres­sion vers la nou­veau­té dans mes pra­tiques. C’est une forme de rêve éveillé. Mes rêves noc­turnes abordent par­fois la pra­tique dans des contextes variés. Éveillé, envi­sa­ger l’a­ve­nir s’ap­pa­rente à rêver de son futur au pré­sent.

L’en­semble des êtres vivants pro­jette men­ta­le­ment des choses. Cet ensemble trans­forme le pay­sage du temps de nos vies à tra­vers des dési­rs, dont cer­tains se réa­lisent et d’autres pas. La sphère humaine a beau­coup d’impact dans ces déci­sions, et nos dési­rs sub­cons­cients ne sont que rare­ment des sur­ve­nues à bon escient. Il ne s’agit pas de de se fla­gel­ler intel­lec­tuel­le­ment, mais de le per­ce­voir, pour s’améliorer. Notre époque est char­nière pour l‘humanité, car la jeu­nesse actuelle res­sent le « no futur » pos­sible.

L’Observation Neutre

J’ai étu­dié de nom­breuses formes de concen­tra­tion et de médi­ta­tion. Elles passent toutes par une obser­va­tion neutre de l’ac­ti­vi­té de l’es­prit et du corps. Cette obser­va­tion est essen­tielle dans tous les Arts mar­tiaux et de san­té que l’A­sie nous a trans­mis. “Neutre” signi­fie sans juge­ment, sans émo­tion, brut tel quel, même face à ce qui est désa­gréable phy­si­que­ment ou psy­chi­que­ment.

La vraie Médi­ta­tion est pour les guer­riers. Ce n’est pas un loi­sir, il y a défi, sans guerre.

Le Yjing peut lui aus­si deve­nir une Pra­tique Médi­ta­tive de l’étude de la Sagesse. Non pas en croyant ce qui est écrit, mais en expé­ri­men­tant le réel par le cal­cul d’hexagramme et l’observation neutre des résul­tats. N’envisageons pas l’objectivité comme attei­gnable, Ein­stein l’a tuée, avec la rela­ti­vi­té géné­rale, la micro-phy­sique a ensuite enfon­cé le clou défi­ni­ti­ve­ment : obser­ver quelque chose, c’est l’influencer, donc le trans­for­mer. Nos esprits ont en géné­ral un faible pou­voir de trans­for­ma­tion à notre échelle. Ce pou­voir, cer­tains en ont plus que d’autres : l’inventeur de la roue a plus trans­for­mé notre monde que Napo­léon, qui l’a lui aus­si plus trans­for­mé que mon action per­son­nelle en 70 ans.

Obser­ver de façon neutre, sans cher­cher à modi­fier ce qui est obser­vé, est sim­ple­ment natu­rel à l’é­chelle de nos vies humaines, car nous ne savons pas qu’elles seront les consé­quences impré­vues à long terme de cha­cun de nos actes.

Médi­ter, c’est regar­der en nous les pro­ces­sus de :

  • La pen­sée
  • La déci­sion
  • Les émo­tions
  • Les effets du monde exté­rieur sur nous

  À long terme, cela génère une expé­rience vécue authen­tique, non-issue d’un dogme ou d’une lec­ture. Cette expé­rience sur­passe tous les livres et tous les dis­cours – le vécu consti­tue une réfé­rence essen­tielle pour cha­cun. Ce qui est vu, per­çu, vécu devient notre réa­li­té indi­vi­duelle.

Fusionner les Deux Pratiques

Rappel des Pratiques

  • Cen­trer le corps en per­ce­vant le Dan tian autour de la zone de son centre de gra­vi­té au sein du corps glo­bal
  • Cen­trer son atten­tion silen­cieu­se­ment sur l’ob­ser­va­tion de ce qui est là tout de suite, en ralen­tis­sant l’ap­pa­ri­tion des pen­sées, et en accep­tant l’apparition de nou­velles pen­sées sans s’y atta­cher

La Fusion

Lorsque notre ATTENTION se pose cal­me­ment et conti­nuel­le­ment vers le centre de gra­vi­té de notre corps, que nous soyons en mou­ve­ment ou immo­biles, notre esprit peut fusion­ner avec ce qu’il observe, si nous le sou­hai­tons. Nous entrons alors dans l’u­ni­vers mys­tique, alchi­mique, ce qui trans­forme notre per­sonne et par­fois notre san­té. Cette zone du ventre en Méde­cine Tra­di­tion­nelle chi­noise cor­res­pond au pre­mier Réchauf­feur, le pre­mier foyer, le pre­mier Dan tian, où s’é­la­bore l’éner­gie défen­sive Wei Qi, si pré­cieuse dans les Arts mar­tiaux et pour la bonne san­té.

En fusion­nant notre conscience dans cette zone, nous deve­nons le centre de notre corps. Le débu­tant apprend pro­gres­si­ve­ment à habi­ter son corps par là et à fusion­ner avec ce centre ven­tral. Cet état d’u­ni­fi­ca­tion se den­si­fie avec l’ha­bi­le­té de la pra­tique. L’ha­bi­le­té de cette concen­tra­tion finit par rayon­ner dans tout notre corps. Plus tard, c’est autour de nous que nous rayon­nons par notre acti­vi­té. Nos gestes cor­po­rels et notre bio­lo­gie intime s’en trouvent amé­lio­rés.

Bien que pas­sion­né de science et de connais­sance, je découvre par ce che­min ce que la science ne sait pas encore appro­cher par sa méthode savante et éprou­vée. Mon habi­le­té cor­po­relle croît, même si elle décroît aus­si par ailleurs avec l’âge (Yin-Yang tem­po­rel).

Tout ce qui monte doit redes­cendre, ces deux flux s’interpénètrent spa­tia­le­ment et tem­po­rel­le­ment de façon conti­nue.

N’hésitez pas à véri­fier la per­ti­nence des vieux dic­tons !

    Concluons avec le Chan­ge­ment Per­pé­tuel

    Le Yijing nous enseigne que chaque situa­tion contient les germes de sa trans­for­ma­tion.

    Mon corps mani­feste aujourd’­hui cer­taines capa­ci­tés tan­dis que d’autres s’es­tompent – non dans une logique de “perte” ou de “gain”, mais dans le mou­ve­ment natu­rel de la vie.

    La science moderne observe cer­tains aspects de la réa­li­té tan­dis que la pra­tique tra­di­tion­nelle en révèle d’autres. Aucune approche n’est “supé­rieure” – elles sont sim­ple­ment dif­fé­rentes fenêtres sur le même pay­sage en per­pé­tuelle muta­tion.

    La voie que je vous pré­sente est celle de l’har­mo­nie avec les trans­for­ma­tions natu­relles : ni recherche de “pro­grès”, ni crainte du “déclin”, mais danse avec les muta­tions per­pé­tuelles de l’exis­tence.

    À vous d’ob­ser­ver ces trans­for­ma­tions dans votre propre expé­rience !

    Georges Saby
    Chercheur/Enseignant
    georges-saby@orange.fr
    www.abc-chi.com
    © octobre 2024

    Le livre de Didier Goutman