La Huitième Aile est le …Cinquième Texte.

Les Dix Ailes est un recueil de com­men­taires sur le Yi Jing. Ini­tiale­ment com­posé de sept sec­tions prin­ci­pales. Leur nom­bre a été arti­fi­cielle­ment porté à dix, afin d’exprimer la total­ité et le change­ment de niveau. Pour ce faire cha­cun des trois pre­miers chapitres a été divisé en deux.

La Huitième aile est donc égale­ment le cinquième des sept textes ini­ti­aux. Aux yeux de ses con­cep­teurs elle com­bi­nait cer­taine­ment ain­si les ver­tus du 8 et du 5 :
  • Cinq indique la cen­tral­ité, la mobil­ité autour d’un piv­ot vide, nom­bre des saisons …et des élé­ments.
  • Huit est la divi­sion struc­turante, nom­bre des tri­grammes, des 8 ori­ents …et des élé­ments !

Dans la plu­part des ouvrages de vul­gar­i­sa­tion du Yi Jing on trou­ve des tableaux ou des listes plus ou moins com­plets, tables d’équivalences entre chaque tri­gramme et un ensem­ble de pro­priétés, de ver­tus ou de représen­ta­tions qui le car­ac­térisent : ces listes sont des tran­scrip­tions ou des refor­mu­la­tions des dernières sec­tions de la Huitième Aile.

 

Comment en Traduire le Titre ?

L’appellation chi­noise de la Huitième Ailes est 說卦傳 “Shuō Guà Zhuàn”

  • Com­mençons …par la fin : Le dernier mot zhuàn “Com­men­taire” est com­mun à cha­cune des Dix Ailes et désigne clas­sique­ment tous les com­men­taires des livres canon­iques.
    • Il représente selon le dic­tio­n­naire éty­mologique Shuo Wen Jie Zi un véhicule pour l’acheminement du cour­ri­er, et con­tient donc les idées de lien et de trans­mis­sion.
    • Il est com­posé à droite de la clé de l’homme et à gauche d’une com­posante phoné­tique qui exprime égale­ment les notions de spé­cial­ité, de con­cen­tra­tion, mais égale­ment, pronon­cé dif­férem­ment, l’idée de rassem­bler, com­mu­ni­quer et répan­dre.
    • Tou­jours selon le Shuo Wen Jie Zi un de ses sens orig­inels serait le filage (par exem­ple du coton ou de la soie) exp­ri­mant ain­si la con­cep­tion à par­tir d’une masse brute d’un fil unique pou­vant lui-même par com­bi­nai­son con­stituer un mail­lage, un tis­su solide et fonc­tion­nel.
  • Revenons au début : le pre­mier mot du titre est shuō : “Racon­ter, expos­er, expli­quer”.
    • Ce mot appa­raît 6 fois dans le texte du Yi Jing (H04‑1, H09‑3, H26‑2, H33‑2, H38‑6, H47‑5) mais avec le sens de “se détach­er, se libér­er de” (entrav­es, roue de char­i­ot, lâch­er-prise, arc, se déten­dre).
    • Il est com­posé à droite du car­ac­tère duì échang­er qui désigne le tri­gramme et à gauche de yán par­ler. Ce dernier car­ac­tère se décom­pose lui même en deux com­posants : en bas kǒu la bouche et en haut lì se tenir ver­ti­cale­ment ; établir ; ériger.
    • Nous retrou­vons donc ici à la fois la notion d’empile­ment des traits et l’accu­mu­la­tion des com­men­taires suc­ces­sifs qui con­fèrent le statut de clas­sique à un ouvrage chi­nois.
  • Le dernier terme de l’expression est Guà qui appa­raît dans le titre des trois dernières ailes.
    • Éty­mologique­ment il présente à sa droite une craque­lure div­ina­toire et à sa gauche un empile­ment. “Guà” désigne indif­férem­ment tout empile­ment de traits div­ina­toires. Ces “struc­tures” sont donc, suiv­ant le con­texte, soit des tri­grammes, soit des hexa­grammes et même par­fois des digrammes.
    • Les deux pre­mières sec­tions de la Huitième Aile con­sid­èrent les hexa­grammes, alors que toutes les autres ne par­lent que des tri­grammes.
    • Les Neu­vièmes et dix­ièmes Ailes con­sid­èrent unique­ment les hexa­grammes. Le terme “poly­gramme”, trop générique, n’est pas util­isé pour l’étude du Yi Jing : nous con­serverons donc le mot chi­nois “guà” dans la tra­duc­tion des titres.

La tran­scrip­tion lit­térale du nom de ce com­men­taire devrait donc être :

“ Pré­ci­sions sur les Empile­ments de Traits Div­ina­toires ”

Soulig­nant l’origine et la struc­ture des fig­ures cette expres­sion est bien trop alam­biquée pour un usage courant… Nous nous con­tenterons donc de :

“ Expli­ca­tions sur les Guas ”

qui indique d’avantage la descrip­tion d’éléments à la base d’un déploiement.

 

2 + 32 = 11

La Huitième Aile con­tient onze chapitres.

Alors que les deux pre­miers textes sem­blent don­ner une expli­ca­tion sur l’origine et la con­struc­tion des hexa­grammes, on trou­ve dans les neuf autres sec­tions l’essentiel des infor­ma­tions nous per­me­t­tant de com­pren­dre les tri­grammes.

Au cou­ple Ciel/Terre cor­re­spon­dent donc deux chapitres, alors que les sec­tions trai­tant des tri­grammes sont au nom­bre de 3 x 3 = 9.

Seuls les deux pre­miers textes appa­rais­sent dans la ver­sion du Yi Jing que l’on a exhumé de la tombe de Ma Wang Dui établie en 168 avant l’ère com­mune. Les sec­tions con­cer­nant les tri­grammes n’ont donc été incor­porées au texte offi­ciel que plus tard.

Cela ne veut pas dire que la lec­ture et l’interprétation à par­tir des tri­grammes n’existait à cette époque mais qu’elle ne fai­sait pas par­tie du courant de pen­sée ini­tial ayant déter­miné le cor­pus clas­sique : soit ce mode de lec­ture cor­re­spondait à des pra­tiques moins accréditées, soit il était encore en ges­ta­tion et n’a été validé qu’après matu­rité.

Autre pos­si­bil­ité : une par­tie des textes provient d’autres ouvrages trai­tant de l’achilléomancie, et le reste n’a été rédigé qu’au moment de la con­sti­tu­tion du cor­pus final.

La grande ques­tion est de com­pren­dre si cet assem­blage des deux chapitres antérieurs con­cer­nant les hexa­grammes avec les neuf sec­tions ajoutées dans un sec­ond temps et ne trai­tant que des tri­grammes n’est du qu’à un voisi­nage de cir­con­stance et à l’ambiguïté du mot Guà “fig­ure” ou s’il y a au con­traire un sens à cette prox­im­ité :

L’interprétation des hexa­grammes à par­tir des tri­grammes est-elle un mode de lec­ture acces­soire gref­fé tar­di­ve­ment sur un tronc pur orig­inel ? Man­i­feste-t-elle au con­traire l’émergence de l’affi­nage pro­gres­sif d’une pen­sée dont les tri­grammes seraient l’apogée, la syn­thèse ?…

 

Contenu de la Huitième Aile

C’est donc un véri­ta­ble sys­tème qui est pro­gres­sive­ment exposé dans la Huitième Aile :

Section 1 : Au commencement étaient le Ciel et la Terre

Jus­ti­fi­ca­tion “his­torique” du décompte des baguettes d’achillée pour révéler les nom­bres du Ciel (yang, impair : 3) et de la Terre (yin, pair : 2). Reprenant ce qui est décrit au début de la Six­ième Aile, la super­po­si­tion des traits fait appa­raître une dynamique “naturelle’” fruit de l’entrecroisement du sou­ple et du ferme. S’en déduit l’orientation per­son­nelle du Man­dat Céleste.

Section 2 : Apparition de l’Humain

Aux deux plans du Ciel et de la Terre on en ajoute alors un troisième : l’Humain. Le Ciel s’exprime à tra­vers deux principes : le cou­ple Yin/Yang. La Terre man­i­feste deux qual­ités : sou­p­lesse et fer­meté. Il est donc logique que l’Homme pos­sède lui aus­si deux car­ac­téris­tiques fon­da­men­tales, deux attrib­uts qu’il doit cul­tiv­er pour con­tribuer au mieux à l’harmonie Ciel/Terre : 仁 rén “bien­veil­lance” et 義 yì “jus­tice”.

Obser­vons qu’à ce stade la struc­tura­tion de l’hexagramme en 6 traits ne sem­ble pas du tout envis­agée comme la super­po­si­tion de deux tri­grammes (soit 2 x 3), mais comme l’attribution à 3 acteurs de deux qual­ités : soit 3 x 2.

Section 3 : Des Couples et des Charnières

Le troisième chapitre con­stitue une dou­ble charnière :
Il s’agit tout d’abord de bas­culer d’une représen­ta­tion du monde où les hexa­grammes sont l’expression de la tri­ade “Ciel-Terre-Homme” (c’est-à-dire six car­ac­téris­tiques) à celle des huit tri­grammes.

Et cela se réalise encore par la déf­i­ni­tion de cou­ples :
Pour la pre­mière fois ces cou­ples sont con­sti­tués de ce que nous appelons désor­mais les “Élé­ments Naturels”.

  • Pre­mière remar­que : les élé­ments naturels se définis­sent donc tout d’abord par cou­ples : à cha­cun des huit cor­re­spond un parte­naire, un cor­re­spon­dant, un opposé, un com­plé­men­taire.
  • Sec­onde remar­que : cha­cun de ces cou­ples se con­stitue, se définit par une dynamique com­mune.

Le pre­mier de ces cou­ples est très par­ti­c­uli­er : il est sig­nifié par les mêmes mots et , tiān et dì, util­isés dans les deux pre­miers chapitres pour définir de façon plus cos­mique, plus fon­da­men­tale, le Ciel et la Terre.

Nous revien­drons plus tard en détail sur les trois autres paires d’Élé­ments men­tion­nés ici pour la pre­mière fois : Montagne/Brume, Tonnerre/Vent et Eau/Feu.

La sec­onde charnière est la procla­ma­tion de l’asso­ci­a­tion entre les tri­grammes et les élé­ments naturels :

八 卦 相 錯
bā guà xiāng cuò
les huit tri­grammes s’entremêlent

Notons qu’au moment de cette opéra­tion de fab­ri­ca­tion des “Élé­ments Naturels” le plan “Humain”, établi au sec­ond chapitre, sem­ble escamoté…

La troisième sec­tion se ter­mine en revanche par l’in­tro­duc­tion d’un nou­veau cou­ple de notions impor­tantes : shùn et que Michel Vino­grad­off traduit respec­tive­ment par “suiv­re le flux” et “aller con­tre le flux” : ces notions sont cer­taine­ment à rap­procher de la voca­tion pour chaque humain d’accomplir le Man­dat du Ciel et donc du besoin de se situer par rap­port au flux, au cours naturel des choses. Nous exam­inerons cela en détail un peu plus tard…

Section 4 : Intention Personnelle

A par­tir de la qua­trième sec­tion le style des textes change pour devenir une sorte de listage de car­ac­téris­tiques ou d’associations pro­pres à chaque tri­gramme (ou à l’Élément Naturel qui lui cor­re­spond) suiv­ant une suc­ces­sion de points de vue dif­férents.
La con­struc­tion des phras­es ne s’appuie plus sur une com­plé­men­tar­ité entre des cou­ples d’éléments : si cette com­plé­men­tar­ité existe ce sera donc au lecteur de l’établir…
Mais en revanche le rassem­ble­ment des déf­i­ni­tions en thé­ma­tiques au sein de chaque sec­tion nous per­met de raf­fin­er la com­plé­men­tar­ité en la répar­tis­sant sur 8 élé­ments, 8 axes : l’exemple le plus emblé­ma­tique, le plus géométrique, se présente dans la cinquième sec­tion où sont très pré­cisé­ment énon­cées les huit direc­tions géo­graphiques sur le plan hor­i­zon­tal (Est, Sud-est, etc.).

La qua­trième sec­tion pro­pre­ment dite est assez courte et asso­cie suc­ces­sive­ment à chaque tri­gramme le mou­ve­ment, l’inten­tion pro­pre qui l’anime : au ton­nerre la mise en mou­ve­ment, au vent la dis­per­sion, à la pluie l’imprégnation, etc. Dans ce chapitre sont util­isés indif­férem­ment les noms des tri­grammes ou ceux des Élé­ments Naturels, voire des vari­antes de ces derniers.

Section 5 : Mouvements et Orientations

La cinquième sec­tion com­mence par redéfinir rapi­de­ment le mou­ve­ment de cha­cun des tri­grammes mais cette fois-ci en tant qu’expression de dì le sou­verain céleste.
Les tri­grammes sont ensuite répar­tis comme man­i­fes­ta­tion des dix mille êtres suiv­ant les huit direc­tions de la rose des vents avec des jus­ti­fi­ca­tions plus ou moins longues selon les cas.
Ce sont donc bien les noms des tri­grammes qui sont util­isés dans ce chapitre : les quelques noms d’Élé­ments Naturels men­tion­nés illus­trent sim­ple­ment le pro­pos.

Section 6 : Dix Mille Êtres et Interactions

La forme de la six­ième sec­tion est très dif­férente de ses voisines et com­porte trois par­ties dis­tinctes :
— les Élé­ments Naturels, à l’exception de la Terre, y sont tout d’abord décrits selon leur action sur les dix milles êtres
— puis les cou­ples d’Éléments, à l’exception du Ciel/Terre, sont men­tion­nés dans leurs inter­ac­tions
— une phrase de con­clu­sion sem­ble définir d’une manière générale les actions des Élé­ments Naturels comme base des trans­for­ma­tions pour la réal­i­sa­tion des dix mille êtres

Section 7 : Activités

La sep­tième sec­tion est extrême­ment courte et utilise pour chaque tri­gramme (ici pas d’Élément Naturel) un verbe d’action qui définit son activ­ité : pour le Ciel “s’affermir”, pour la Terre “épouser le mou­ve­ment”, pour le Ton­nerre “être en mou­ve­ment”, etc.

Section 8 : Animaux

La huitième sec­tion est la sim­ple asso­ci­a­tion entre chaque tri­gramme (ici non plus pas d’Élément Naturel) et un ani­mal : Le Ciel avec le cheval, la Terre avec la vache, le Ton­nerre avec le drag­on, etc.

Section 9 : Corps

La neu­vième sec­tion établit une analo­gie entre encore une fois chaque tri­gramme et une par­tie du corps : au Ciel cor­re­spond la tête, à la Terre le ven­tre, au Ton­nerre le pied, etc.

Section 10 : Famille

La dix­ième sec­tion définit en cor­re­spon­dance avec les tri­grammes une posi­tion famil­iale stricte­ment établie à par­tir de la nature et la posi­tion de leurs traits :
— le tri­gramme asso­cié au Ciel ne com­porte que des traits Yang et cor­re­spond donc au père
— à l’inverse le tri­gramme asso­cié à la Terre ne com­porte que des traits Yin et cor­re­spond donc à la mère
— le tri­gramme asso­cié au Ton­nerre pos­sède un pre­mier trait yang et cor­re­spond donc au pre­mier fils
— etc.

Section 11 : Un Catalogue d’Analogies

La dernière et onz­ième sec­tion est la plus longue de toutes. Elle énumère suc­ces­sive­ment pour chaque tri­gramme tout un ensem­ble d’analogies dont quelques unes ont déjà été énon­cées dans les chapitres précé­dents : Élé­ment Naturel, ani­mal, posi­tion famil­iale, etc.

Il y a ain­si, dans la Huitième Aile et en rap­port avec les tri­grammes, ou les Élé­ments Naturels asso­ciés, beau­coup de matéri­aux, d’analogies qui pour­raient jus­ti­fi­er l’orientation des con­seils prodigués dans la Grande Image : nous devons donc explor­er et traduire un peu plus pré­cisé­ment cha­cun de ses chapitres…

Bib­li­ogra­phie

  • Chi­nese Text Project – La huitième Aile : https://ctext.org/book-of-changes/shuo-gua
  • Cou­vreur, S. (1900). Dic­tio­n­naire clas­sique de la langue Chi­noise. Adrien Maison­neuve.
  • Ency­clopédie du Yi Jing, La huitième Aile : https://www.wen.fr/huitieme-aile/
  • Ric­ci, I. (1999). Dic­tio­n­naire Ric­ci de car­ac­tères chi­nois, cof­fret 2 vol­umes et un index. Paris : Desclée de Brouw­er.
  • Vino­grad­off, M. (2000). Dans le Yi Jing à tire d’aile. Les com­men­taires du Yi Jing. Paris : Edi­teur Guy Tredaniel.