(Tirages ordinaires et extraordinaires…)
Contexte
Le 1er octobre 1993 j’avais décidé d’aller pousser les portes de la Chambre de Commerce de Nîmes afin d’y déposer les statuts de ma toute nouvelle entreprise. Cela faisait en effet une petite dizaine d’années que j’étais salarié puis chômeur dans le domaine de la programmation de logiciels à façon, orientés gestion TPE et PME. Mon ancienne employeuse, changeant d’orientation, m’offrait ainsi son petit parc de clients, ainsi que les codes sources de tous les programmes développés pour eux. Cela permettait de ne pas partir de rien, je connaissais les clients, ils me connaissaient, les contrats de maintenance et les développements en cours assuraient le financement de la première année d’activité… Cet accord tripartite semblait donc convenir à tout le monde.
La question
Mais avant de prendre la route, ma compagne me suggéra de consulter le Yi Jing afin de mesurer la température et d’obtenir les recommandations du Vieux Livre sur la conduite à tenir et en quelque sorte l’horoscope du jour de naissance de cette toute nouvelle situation. La question se résumait donc à : “Qu’en est-il de cette nouvelle entreprise ?”.
Le tirage, l’ambiance
Compte tenu de l’enjeu, je choisi de posément utiliser la méthode des baguettes. Mis à part les débats arithmétiques et le plaisir du bruissement des tiges d’achillée, elle m’offre souvent par l’effet hypnotique de la répétition des gestes et des décomptes, en amont de la révélation de la photographie en hexagrammes, une transe légère au cours de laquelle sensations physiques, variations de l’état émotionnel et songeries sont autant de signes qui viendront en général corroborer l’interprétation classique. Autosuggestion ou frénésie de débutant ? : l’ensemble des ressentis convergeait en un enthousiasme du type “Vas‑y ! Tout est possible ! Tu peux le faire !”. Et c’est donc dans cet état d’esprit que je replaçai respectueusement mes baguettes dans leur étui et traçai les figures correspondant aux chiffres obtenus…
Les hexagrammes, le trait
Techniquement nous obtenons donc deux hexagrammes et passons de l’un à l’autre par la mutation d’un seul trait en quatrième position. Le mode d’interprétation classique est donc facile à appliquer : le premier hexagramme décrit la situation d’ensemble, le second en exprime la coloration, la déclinaison, dans certains cas les perspectives d’évolution, et pour couronner l’ensemble le trait mutant unique doit donner de précieuses indications tactiques au sein de la stratégie globale.
Interprétation hâtive
Boosté par les encouragements ressentis lors de la manipulation des baguettes, impatient de conclusions concrètes, je me précipitai au texte du quatrième trait de la version de Wilhelm et Perrot. Mais quelle déconvenue ! :
Son arrivée est soudaine. il s’embrase, meurt, est rejeté.
Certain d’une erreur, je me tournai vers la traduction de Philastre :
Comme un courant rapide, de même il vient ; comme brûlant, comme mort ; comme abandonné.
La traduction du précieux Cyrille Javary, un an plus tard, ne m’aurait pas été d’un plus grand secours :
Jaillir ; En revenir ; Brûler ; Mourir ; Renoncer
Le “jaillissement” correspond effectivement à l’énergie fébrile dans laquelle je me sentais… Mais “En revenir” ne suggérait pas vraiment une démarche vers l’extérieur. “Brûler” me faisait penser à un feu de paille ou à Jeanne d’Arc… “Mourir” ne me paraissait guère plus rassurant. Et pour conclure “renoncer” et ne même pas mettre les pieds dans la voiture semblait l’attitude la plus sage avec de tels présages…
Mon impatience un peu “calmée” je me résolu à considérer la situation générale posée par l’hexagramme 30 “Le Feu, Filet d’oiseleur” : on y souligne à la fois la nécessité d’y voir clair, d’y regarder à deux fois et la possibilité d’un éblouissement, d’une illusion au détriment de la réalité… Pas vraiment enthousiasmant non plus.
…Et l’hexagramme de perspective, le 22, “La Grâce, Embellir” en rajoutait une couche, conseillant de prendre le temps de peaufiner son apparence et de justement ne pas s’y fier (aux apparences).
Décision tout feu, tout flamme
Fort de ces conseils modérateurs… je décidai donc de créer au plus vite cette entreprise ! Pire que cela j’utilise le dessin de ce “tirage maléfique” comme logo de l’entreprise…
21 ans plus tard…
L’entreprise existe toujours, elle m’a nourri pendant 21 ans (ce qui n’est pas rien dans ce domaine d’activité), et m’a entre autres permis de payer intégralement mon habitation…
Le Yi jing se serait-il trompé ? C’est ce que nous analyserons au cours du second article !