Chro­nique de lec­ture :

La structure inconsciente et le Yi King – L’objet du désir : reste ou vide ? (JU Fei)

Depuis une dizaine d’années, la psy­cha­na­lyse a fait une per­cée en Chine. Quel écho peut sus­ci­ter la décou­verte freu­dienne de l’inconscient prô­nant une théo­rie du sujet divi­sé entre savoir et véri­té, dans cette culture mil­lé­naire, où l’homme situé entre Ciel et Terre tend à l’uni­té cos­mo­lo­gique ?

Dans so9782343025582rn livre, Ju Fei tente de mettre en rap­port ces deux modes de concep­tion de l’humain. Il débute par une étude appro­fon­die du fonc­tion­ne­ment de l’inconscient tel que Lacan, à la suite de Freud, l’a concep­tua­li­sé. Puis après avoir lon­gue­ment déve­lop­pé cer­tains concepts psy­cha­na­ly­tiques, celui d’objet en par­ti­cu­lier, il les rap­proche de la struc­ture du Yijing comme vec­teur fon­da­men­tal de la pen­sée chi­noise et de sa logique. Il en découvre d’importants rap­ports mais aus­si de sen­sibles dif­fé­rences. Il faut savoir que si la psy­cha­na­lyse ne se trouve pas dans le même champ que la science, une des pré­oc­cu­pa­tions majeures de Freud fut d’élaborer des concepts pour trans­mettre sa repré­sen­ta­tion de l’appareil psy­chique et de son fonc­tion­ne­ment. Lacan a pour­sui­vi la même démarche jusqu’à éla­bo­rer des figures topo­lo­giques et des for­mules mathé­ma­tiques pour en rendre compte. C’est pré­ci­sé­ment l’évolution de ce monu­ment théo­rique, de Freud à Lacan, que Ju Fei par­vient à recons­truire en déga­geant des pierres d’angle pour sou­te­nir sa thèse de mise rap­port de la struc­ture de l’inconscient avec celle du Yijing.

La structure inconsciente et le Yi King

La com­bi­nai­son des 8 tri­grammes implique une struc­ture möbienne

Le sous titre de l’ouvrage : « l’objet du désir : reste ou vide ? » témoigne déjà de la façon dont Ju Fei va pro­cé­der pour avan­cer dans son rai­son­ne­ment, en ques­tion­nant sou­vent des cou­plages logiques rele­vant d’ambiguïtés ou d’opposés, ain­si : « La réa­li­sa­tion ou la déri­va­tion du désir ? – Le pénis : Yin ou Yang ? – Le vide : médian ou ontique ? » Plu­tôt que de défi­nir le fan­tasme ou le désir au sens psy­cha­na­ly­tique, plu­tôt que de par­ler de l’essence du Yijing, il met en évi­dence des rela­tions d’où se déduisent, au fil de son déve­lop­pe­ment, les liens de conver­gence ou de dif­fé­rence entre les deux struc­tures.

Exemple : La notion de vide liée à l’objet du désir dans la psy­cha­na­lyse, ren­voie à celle de vide dans la pen­sée chi­noise. Ju Fei explique au cours des pre­miers cha­pitres com­ment le sujet de la psy­cha­na­lyse se struc­ture autour d’un manque ori­gi­naire qu’aucun objet ne vien­dra com­bler et com­ment ce vide de l’objet est cause du désir. Quand il en vient au Yijing, il spé­ci­fie deux sortes de vide : le vide ori­gi­naire avant la for­ma­tion du Yin / Yang et le vide médian entre le Yin et le Yang. Il ne s’agit pas de faire des com­pa­rai­sons mais de faire appa­raître que struc­tu­ra­le­ment le vide est le moteur du « méca­nisme opé­ra­tion­nel » dans les deux struc­tures. Dans cette savante explo­ra­tion, Ju Fei s’en tient essen­tiel­le­ment à mettre en rap­port des concepts. Et s’il par­vient à jeter un pont entre les modes de pen­sée occi­den­tal et chi­nois, on peut regret­ter qu’il ne conclue pas sur des inci­dences plus concrètes : cli­nique pour la psy­cha­na­lyse, pra­tique pour le Yijing. Il annonce tou­te­fois que ce sera là l’objet de son pro­chain livre

La struc­ture incons­ciente et le Yi King – Ed L’Har­mat­tan

Jac­que­line Assab­gui est psy­cha­na­lyste et membre de Djo­hi Beau­lieu

CRÉDITS IMAGES (dans l’ordre d’affichage) : Les editions l’Harmattan/ dessin de Ju Fei.