dispute

Le sino­logue et phi­lo­sophe Jean-Fran­çois Bille­ter apporte avec ce livre, paru en août 2023, la clé de voûte de tout son sys­tème de pen­sée : régimes d’ac­ti­vi­té, inté­gra­tion, corps, sujet.

En réponse à la catas­trophe en cours, il pro­pose un pro­jet his­to­rique et poli­tique fon­dé sur des don­nées pre­mières admises par tout le monde.

Bien loin des chi­noi­se­ries intel­lec­tuelles d’une Chine autre reven­di­quée par un abord dif­fé­rent de l’humain, Jean-Fran­çois Bille­ter nous com­mu­nique l’essence d’une vie d’é­tude et d’en­sei­gne­ment du Zhuang­zi et de la tra­duc­tion de la langue chi­noise. S’il ne les cite qua­si­ment pas dans cet ouvrage, le lec­teur aver­ti sau­ra lire entre les lignes et faire le lien avec les leçons tirées de ses livres pré­cé­dents.

Cet auteur euro­péen mobi­lise ici toute son expé­rience intime de la pen­sée chi­noise pour une relec­ture de Des­cartes et Pas­cal, du « Je pense donc je suis » jusqu’à une redé­fi­ni­tion extrê­me­ment acces­sible du Bien et du Mal.

Résumé du Chapitre 1 : ” Un nouveau paradigme

dispute

En réponse à la crise actuelle de la socié­té et de la civi­li­sa­tion, un chan­ge­ment fon­da­men­tal dans notre manière de pen­ser est néces­saire. Jean-Fran­çois Bille­ter fait le constat de l’absence d’un pro­jet his­to­rique clair dans les dis­cours sur les urgences glo­bales. Il sug­gère ensuite que pour éla­bo­rer un tel pro­jet, il est essen­tiel de s’ap­puyer sur et reve­nir à des don­nées pre­mières uni­ver­sel­le­ment accep­tées. Ces fon­da­men­taux ont, en effet, été pro­gres­si­ve­ment négli­gés en rai­son de nos héri­tages intel­lec­tuels, phi­lo­so­phiques, et reli­gieux.

Ce cha­pitre est un plai­doyer pour une réorien­ta­tion radi­cale de notre com­pré­hen­sion du sujet et de la réa­li­té. En adop­tant ce nou­veau para­digme, l’au­teur sug­gère que nous pou­vons déve­lop­per une base solide pour un pro­jet his­to­rique com­mun capable de répondre aux crises actuelles. Le fon­de­ment de cette démarche est l’obser­va­tion de soi et de son expé­rience pour par­ve­nir à une véri­table connais­sance de soi et du monde.

Un Nouveau Paradigme

L’au­teur appelle à une révo­lu­tion de la pen­sée basée sur une rééva­lua­tion fon­da­men­tale du sujet humain, celui que nous sommes cha­cun indi­vi­duel­le­ment. Il affirme que nous ne nous sommes jamais fait une idée juste de ce phé­no­mène humain parce que nous avons mal inter­pré­té notre propre nature, oscil­lant entre l’auto-com­pré­hen­sion évi­dente et immé­diate et la convic­tion d’être quelque chose d’insai­sis­sable.

Observations et Idées-Clés

Acti­vi­té Inté­grée et Conscience : la pre­mière idée-clé est que nous sommes faits d’ac­ti­vi­té, tout comme la réa­li­té elle-même, et cette acti­vi­té peut deve­nir consciente. Cette prise de conscience per­met l’é­mer­gence du sujet à tra­vers le lan­gage et l’auto-iden­ti­fi­ca­tion.

Per­fec­tion­ne­ment et Connais­sance de Soi : l’au­teur sug­gère ensuite que le sujet se forme et se connaît à tra­vers l’inté­gra­tion et le per­fec­tion­ne­ment de son acti­vi­té propre, un pro­ces­sus qui libère la conscience et per­met une com­pré­hen­sion plus pro­fonde de soi-même et de la réa­li­té.

Liber­té et Besoin-Désir de Per­fec­tion : la liber­té est alors envi­sa­gée comme l’ac­tion selon une néces­si­té propre plu­tôt qu’une contrainte externe. Le besoin et le désir essen­tiels du sujet de pro­gres­ser vers un per­fec­tion­ne­ment d’ac­tion et une plus grande liber­té forment le cœur d’un nou­veau para­digme.

Révo­lu­tion de la Pen­sée et Nou­veaux Para­digmes : selon Jean-Fran­çois Bille­ter, rem­pla­cer l’an­cien para­digme par un nou­veau néces­site de com­prendre et de s’é­loi­gner des dua­lismes tra­di­tion­nels, comme celui entre esprit et matière. Le nou­veau para­digme se concentre exclu­si­ve­ment sur le sujet, recon­nais­sant que les mondes sont des construc­tions du sujet lui-même à tra­vers le lan­gage.

Critique des Anciens Paradigmes

Les para­digmes dua­listes ont domi­né la pen­sée occi­den­tale. Des pen­seurs comme entre autres Pas­cal et Des­cartes, sont, selon l’auteur, res­tés pri­son­niers de cette dua­li­té. Il pro­pose de la dépas­ser en recon­nais­sant que nous et la réa­li­té sommes faits d’acti­vi­té inté­grée.

Références à des ouvrages précédents

  • “Esquisses” : Men­tion­né plu­sieurs fois, cet ouvrage est uti­li­sé pour illus­trer des points sur l’in­té­gra­tion de l’ac­ti­vi­té, la conscience, et le sujet. L’au­teur y ren­voie pour appro­fon­dir cer­tains concepts men­tion­nés dans le cha­pitre.

Résumé du Chapitre 2 : ” Pascal et la connaissance du sujet

dispute

Ce cha­pitre explore la pers­pec­tive de Blaise Pas­cal sur la connais­sance de soi et la condi­tion humaine à la lumière des avan­cées scien­ti­fiques et des réflexions phi­lo­so­phiques et reli­gieuses de son époque. Jean-Fran­çois Bille­ter y ana­lyse com­ment Pas­cal, contrai­re­ment à Des­cartes, recon­naît l’im­pact de la révo­lu­tion coper­ni­cienne et des décou­vertes scien­ti­fiques sur la com­pré­hen­sion humaine de la réa­li­té, menant à un chan­ge­ment pro­fond dans la per­cep­tion de l’homme de sa propre place dans l’u­ni­vers.

L’auteur pro­pose alors une réin­ter­pré­ta­tion des idées de Pas­cal dans le contexte d’un para­digme moderne, où la pro­gres­sion vers une acti­vi­té humaine plus inté­grée et consciente rem­place la hié­rar­chie tra­di­tion­nelle des ordres spi­ri­tuels. Cette réin­ter­pré­ta­tion sug­gère un mou­ve­ment au-delà des dua­lismes et para­digmes anciens vers une com­pré­hen­sion plus holis­tique et inté­grée du sujet humain. Elle prend appui sur la recon­nais­sance de la capa­ci­té de l’homme à créer et com­prendre son propre monde d’ex­pé­rience à tra­vers le lan­gage et l’ac­ti­vi­té consciente.

Pascal et le Changement Irréversible dans la Condition Humaine

Défi Scien­ti­fique : Pas­cal per­çoit les pro­grès scien­ti­fiques comme un défi à la vision tra­di­tion­nelle du monde, sou­li­gnant l’in­son­da­bi­li­té de la réa­li­té et le besoin d’une nou­velle approche de la connais­sance basée sur l’ex­pé­ri­men­ta­tion et l’hy­po­thèse.

Dis­pro­por­tion de l’Homme : à tra­vers son essai “De la dis­pro­por­tion de l’homme,” Pas­cal illustre com­ment l’homme se trouve réduit à presque rien entre l’in­fi­ni­ment grand et l’in­fi­ni­ment petit, met­tant en évi­dence la soli­tude exis­ten­tielle de l’in­di­vi­du.

Pascal et la Connaissance du Sujet

Impor­tance de l’É­tude de l’Homme : Pas­cal valo­rise l’é­tude de l’homme comme le domaine le plus signi­fi­ca­tif, sug­gé­rant que les sciences abs­traites éloignent de la véri­table com­pré­hen­sion humaine.

Trois Ordres : Pas­cal dis­tingue trois ordres d’exis­tence – char­nel, spi­ri­tuel, et celui de la cha­ri­té –, cha­cun étant incom­men­su­rable avec les autres. Selon lui la com­pré­hen­sion et l’é­lé­va­tion spi­ri­tuelle trans­cendent la connais­sance scien­ti­fique et les ambi­tions mon­daines.

Comparaison avec la Pensée Actuelle

Régimes d’Ac­ti­vi­té : Jean-Fran­çois Bille­ter com­pare les obser­va­tions de Pas­cal sur les trois ordres avec sa propre concep­tion des régimes d’ac­ti­vi­té, sug­gé­rant que ces régimes, qui repré­sentent dif­fé­rents niveaux d’in­té­gra­tion de l’ac­ti­vi­té humaine, offrent une ana­lo­gie moderne aux dis­tinc­tions de Pas­cal.

Inté­gra­tion Supé­rieure de l’Ac­ti­vi­té : l’au­teur pro­pose que ce que Pas­cal attri­bue au sur­na­tu­rel – notam­ment les moments de clar­té excep­tion­nelle ou d’ac­tion par­fai­te­ment inté­grée – peut être com­pris comme le résul­tat d’une inté­gra­tion supé­rieure de l’ac­ti­vi­té humaine, entiè­re­ment natu­relle.

Références à des ouvrages précédents

  • “Pen­sées” de Pas­cal : réfé­rence impor­tante uti­li­sée pour dis­cu­ter des idées de Pas­cal sur la connais­sance du sujet.
  • “Esquisses” : l’au­teur men­tionne de nou­veau ce tra­vail pour com­pa­rer les obser­va­tions de Pas­cal sur les trois ordres avec sa propre concep­tion des “régimes d’ac­ti­vi­té”.
  • “Un para­digme” : cet ouvrage est uti­li­sé pour illus­trer la pro­gres­sion du vio­lo­niste, une méta­phore de l’ac­qui­si­tion et du per­fec­tion­ne­ment de com­pé­tences et de connais­sances.

Résumé du Chapitre 3 : ” La suite de l’histoire

dispute

Ce der­nier cha­pitre exa­mine l’évo­lu­tion actuelle de la condi­tion humaine et ses impli­ca­tions pro­fondes. Il sou­ligne un chan­ge­ment majeur non seule­ment dans la per­cep­tion de notre condi­tion mais dans la condi­tion elle-même, mena­cée par des méca­nismes de pen­sée des­truc­teurs. Ce chan­ge­ment néces­site une nou­velle com­pré­hen­sion de ce que nous sommes pour conce­voir un pro­jet vital pour l’a­ve­nir.

La Menace du Paradigme Capitaliste

Défi­ni­tion du Capi­ta­lisme : le capi­ta­lisme est ici défi­ni comme l’as­su­jet­tis­se­ment de la vie sociale à la ren­ta­bi­li­sa­tion du capi­tal sans fin, béné­fi­ciant exclu­si­ve­ment à ceux qui le détiennent.

Consé­quences du Méca­nisme Capi­ta­liste : ce méca­nisme conduit à la concen­tra­tion crois­sante du capi­tal et à la dis­so­lu­tion de la nature, de l’ac­ti­vi­té humaine, du lien social, de la vie poli­tique, du sujet, de la pen­sée et du lan­gage.

Les Effets Visibles et Destructeurs

Des­truc­tion Envi­ron­ne­men­tale et Humaine : le capi­ta­lisme mani­pule et recom­pose la nature et les acti­vi­tés humaines, entraî­nant des effets désas­treux sur l’en­vi­ron­ne­ment et la socié­té.

Décom­po­si­tion Sociale : il décom­pose éga­le­ment le lien social et tue la pen­sée en accé­lé­rant toutes les opé­ra­tions de la vie quo­ti­dienne, ren­dant les indi­vi­dus dépen­dants des sys­tèmes infor­ma­ti­sés et iso­lés les uns des autres.

Vers un Nouveau Paradigme

Connais­sance du Sujet : une nou­velle forme de connais­sance, tirée de l’obser­va­tion et de la réflexion patiente du sujet sur lui-même, est pro­po­sée comme fon­de­ment d’un nou­veau para­digme. Cette connais­sance per­met­tra de dis­tin­guer le Bien et le Mal de manière pré­cise et sûre, sans recou­rir à la morale tra­di­tion­nelle.

Néces­si­té d’Ac­tion et de Liber­té : L’ac­tion est alors gui­dée par un besoin-désir essen­tiel de per­fec­tion­ne­ment, menant à une socié­té qui favo­rise la for­ma­tion et le déve­lop­pe­ment du sujet libre.

L’Europe comme Cadre de Transformation

Rôle de l’Eu­rope : selon Jean-Fran­çois Bille­ter, pour chan­ger de para­digme, l’Eu­rope doit se consti­tuer en puis­sance indé­pen­dante, capable de suivre sa propre voie, fon­dée sur la connais­sance du sujet indi­vi­duel et l’u­ni­ver­sa­lisme véri­table.

En Conclusion

Ce cha­pitre appelle à une prise de conscience col­lec­tive pour affron­ter les défis posés par le capi­ta­lisme et à agir ensemble vers un ave­nir où la liber­té et le per­fec­tion­ne­ment du sujet sont au cœur d’une socié­té réno­vée. L’au­teur sou­ligne l’im­por­tance de réflexions et d’é­changes pour déter­mi­ner les actions à entre­prendre, illus­trant son pro­pos par un appel à une Répu­blique euro­péenne unie et démo­cra­tique.

Références à des ouvrages précédents

  • “Esquisses” : réfé­ren­cé à plu­sieurs reprises pour dis­cu­ter de la concep­tion d’un nou­veau para­digme basé sur la connais­sance de soi et pour expli­quer les notions du Bien et du Mal.
  • “Chine trois fois muette” : men­tion­né dans le contexte de l’o­ri­gine et du déve­lop­pe­ment du capi­ta­lisme.
  • “Pour­quoi l’Eu­rope ? Réflexions d’un sino­logue” : uti­li­sé pour sou­li­gner l’im­por­tance de l’Eu­rope dans la for­ma­tion d’un nou­veau para­digme et pour dis­cu­ter de l’his­toire euro­péenne en termes d’au­to­no­mie du sujet.
  • “Demain l’Eu­rope” : cité pour illus­trer la vision de l’au­teur sur l’a­ve­nir de l’Eu­rope en tant que Répu­blique euro­péenne.

“Un para­digme” : à nou­veau réfé­ren­cé pour dis­cu­ter de la notion de “virtù” et pour rap­pe­ler une anec­dote sur Mira­beau durant la Révo­lu­tion fran­çaise.


Au Sujet de l’Objet

Très concis (la cin­quan­taine de page se lit en moins de deux heures) et très abor­dable (7 €), cet ouvrage de syn­thèse invite à lire ou relire les tra­vaux pré­cé­dents.

La qua­li­té d’im­pres­sion des édi­tions Allia ajoute encore au plai­sir. A lire et à offrir de toute urgence !