Nous avons le plaisir de vous présenter aujourd’hui l’ouvrage de Samia Khallaf paru ce mois-ci aux éditions Enrick B : « Variations sur des mutations ».
Etablir un pont entre deux écoles de pensée
Ce livre nous propose une double approche par une exploration de la pensée chinoise, illustrée par le Yi Jing, et l’école de Palo Alto, née dans les années 50 en Californie. Cette mise en regard de deux pensées nous mène à une double et étonnante découverte : entre ces deux pensées, l’une multimillénaire et l’autre contemporaine, il existe des liens épistémologiques forts et une grande proximité pratique. Et l’auteur de conclure avec cette question : et si l’école de Palo Alto, en révolutionnant le regard posé sur l’être humain, retrouvait précisément les stratégies proposées depuis des millénaires par le Yi Jing ?
Ce livre de 331 pages est en deux parties principales encadrées d’une préface et d’une postface.
Préface : Jean-Jacques Wittezaele
Jean-Jacques Wittezaele est l’un des principaux représentants de l’approche de Palo Alto en Europe francophone. Eclairé par son expérience de psychologue et sa propre rencontre avec le Yi Jing, il pose dans cette préface une question : « Le Yi Jing est-il thérapeutique ? »
Postface : Cyrille Javary
Nul n’est besoin de présenter Cyrille Javary aux amateurs francophones du Yi Jing. L’auteur d’une des traductions française de référence remanie et actualise généreusement dans cette postface une présentation déjà éprouvée de l’histoire et du fonctionnement du Livre des Changements. Au fil de ce récit, tout à la fois concis, documenté et très illustré, la plume aiguisée de Cyrille Javary résume de façon claire une orientation du Yi Jing qui est parvenue à solidement faire école ; il confirme ainsi son statut d’ambassadeur incontournable.
Première partie : L’école de Palo Alto et le Yi Jing
Le livre est construit en deux parties : dans la première, l’auteure nous emmène dans une analyse des liens philosophiques et pratiques des liens entre le Yi Jing et l’école de Palo Alto. Elle nous présente d’abord ces deux pensées, avant d’en proposer une mise en regard qu’elle refuse de présenter comme une comparaison, mais qu’elle introduit plutôt comme des résonnances.
Une fois ces bases posées, Samia Khallaf établit de premiers rapprochements entre les deux approches dans leurs rapports à la connaissance et la réalité. Elle présente pour ce faire de façon pédagogique et assez détaillée les principes de la théorie des systèmes selon l’Ecole de Palo Alto et ses principaux penseurs (Bateson et Watzlawick entre autres). L’usage du Yi Jing est alors reconsidéré selon cette vision du monde et l’auteure présente les concepts et éléments fondamentaux de la pensée chinoise qui autorisent un rapprochement avec les lois issues de la cybernétique.
Depuis ces liens théoriques il est alors possible de parler méthodologie et applications pratiques. C’est l’objet du dernier chapitre de cette première partie qui établit des liens ou des analogies entre les deux approches autour des notions de changement, de question, de régulation et de stratégie.
Seconde partie : Histoires
L’enjeu et le propos théoriques de la première partie du livre sont inédits. Ne serait-ce qu’à cause de la grande valeur pratique de chacune d’entre elles, la « comparaison », le rapprochement entre les approches « Palo Alto » et « Yi Jing » méritaient d’être abordés.
Mais c’est donc en pratique, « en consultation », que l’effectivité doit être éprouvée. Il appartiendra à chacun et au temps de tester la robustesse des constatations de la première partie. Etablissant un pont supplémentaire avant une expérimentation personnelle du lecteur, c’est la praticienne Samia Khallaf qui nous invite à partager non plus une théorie, mais le récit de consultations où se conjuguent coaching, thérapie brève et Yi Jing.
Tant en français qu’en anglais le nombre des ouvrages « expliquant » le Yi Jing ne manquent pas. Peu sont originaux, peu s’appuient sur des traductions vivantes, un grand nombre d’entre elles semblent n’avoir été publiées que pour rendre crédible « l’auteur d’un livre » sur le sujet. Les formats varient très peu : quelques éléments théoriques plus ou moins bien ficelés, suivis d’une « traduction » et une interprétation individuelle des hexagrammes et des traits. Il n’y avait jusque-là qu’un seul ouvrage échappant à cette monotonie et qui ne sera malheureusement probablement jamais réédité : « Douze dialogues avec le Yi Jing » de Rose-Marie Beckers. Il relate douze exemples concrets et vécus, autant de témoignages qui prouvent par le traitement de situations courantes que le Yi Jing fonctionne.
C’est le même élan qui porte la seconde partie de « Variations sur des Mutations ». Il met la théorie des premiers chapitres à l’épreuve du vivant. Mais au cœur de chaque récit, chacun centré sur un hexagramme, il s’agit surtout, au fil des dialogues, du rétablissement de l’autonomie du sujet en lien avec le flux du vivant.