Bien que cette approche n’entre pas dans le champ d’étude habi­tuel du Yi Jing, et même si le boud­dhisme n’a été intro­duit en Chine que bien après l’é­lé­va­tion au rang de Clas­sique du Livre  des Chan­ge­ments je vou­drais évo­quer ici la notion boud­dhiste de Vision Juste… Cette diva­ga­tion est, dans sa pre­mière par­tie, une invi­ta­tion à ques­tions.

Vision : elle est mou­ve­ment mais sup­pose une posi­tion, un point de vue. Il y a deux usages tra­di­tion­nels du Livre des Trans­for­ma­tions : (1) l’étude du livre et la consul­ta­tion de l’oracle pour laquelle on peut ici dis­tin­guer deux formes : (2) tirage pour soi-même ou (3) pour quelqu’un d’autre.

La géo­mé­trie de la vision est à la base dif­fé­rente pour ces trois situa­tions et cha­cune com­porte des variantes : d’où regarde-t-on ?

Lorsque j’étudie le texte et les figures du Yi Jing je peux le consi­dé­rer comme un objet d’étude dont je suis l’ob­ser­va­teur exté­rieur. Le consi­dé­rant au contraire comme un outil de pro­fonde trans­for­ma­tion inté­rieure, j’en deviens alors l’ob­jet et mon regard sur “la chose en mou­ve­ment” n’est pas du tout tour­né dans la même direc­tion.

Si je fais un tirage pour quelqu’un d’autre je peux méta­pho­ri­que­ment me visua­li­ser au des­sus de lui (!), en face de lui (comme dans un miroir), en face de lui (comme un témoin par­ti­cu­lier), à sa place, à côté de lui regar­dant dans la même direc­tion ou devant lui regar­dant dans la même direc­tion.

Effec­tuant un tirage pour moi-même je peux choi­sir de consi­dé­rer la situa­tion comme si je la regar­dais depuis un point au des­sus de moi, en face de moi (comme dans un miroir) ou encore depuis l’in­té­rieur.

 …cette liste de “points de vue” n’est pas exhaus­tive et ne tient pas compte des chan­ge­ments de posi­tions pos­sibles (alter­nances, dépla­ce­ments, com­bi­nai­sons).

Maevia_inclemens_eyes

Yeux mul­tiples d’une arai­gnée

Autre ques­tion : la « vision » par le Yi Jing est-elle un regard, une vision ou une voyance ? Un regard sup­pose un objet inten­tion­nel­le­ment regar­dé. La vision peut être au choix une facul­té ou le constat d’un évé­ne­ment dans le champ de vision, indé­pen­dam­ment d’une inten­tion de voir. La voyance sup­pose la capa­ci­té à voir ce que le regard ordi­naire ne peut déce­ler. Dans ce der­nier cas la vision juste pour­rait-t-elle deve­nir une “claire-voyance” ?

Juste : que veut dire « juste » ? Exact, conforme à la réa­li­té ? Par­fait ? Equi­table ? Effi­cace ? Equi­li­bré ? Ethique ? Moral ? En accord avec les règles ? En accord avec ce qui est bon pour moi ? En accord avec ce qui est bon pour les autres ? En accord avec la “nature” ?

Tsingtau_Postkarten_ca_1900_BoxerDans sa tra­duc­tion du titre de l’hexa­gramme 61 (中 孚 / zhong fu / juste confiance ) Cyrille Java­ry uti­lise ce mot “Juste” pour tra­duire zhong : milieu (l’i­déo­gramme repré­sente une flèche au centre d’une cible). Il sou­ligne l’im­por­tance de la posi­tion de l’ar­cher, de son atti­tude et tout par­ti­cu­liè­re­ment de l’a­dé­qua­tion au moment, au rythme.

Une forme péjo­ra­tive de l’a­dé­qua­tion au moment serait l’homme poli­tique habile à “retour­ner sa veste” au gré des cir­cons­tances, fai­sant ain­si en sorte de res­ter au pou­voir. D’autre part se confor­mer aux ten­dances ves­ti­men­taires, ali­men­taires ou cultu­relles de son temps est sou­vent alié­nant…

L’ac­tion juste de l’ar­cher requiert donc au préa­lable une vision juste. Elle lui per­met certes de se posi­tion­ner “vis-à-vis” d’un contexte, d’un “milieu”, mais la per­cep­tion de ce contexte ne doit pas être faus­sée par une mau­vaise vision, depuis son propre “centre”.

L’ap­proche boud­dhiste nous per­met­tra dans le second volet de cet article de défi­nir les fac­teurs d’une mau­vaise vision et en contre­par­tie les carac­té­ris­tiques d’une vision juste…

Divi­na­tion et Vision juste (2/12)

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