La création des trigrammes par Fu Xi

“Jadis, Bao Xi, roi du monde, leva les yeux et obser­va les phé­no­mènes dans le Ciel, bais­sa les yeux et obser­va les mani­fes­ta­tions sur la Terre. Il obser­va les signes dis­tin­guant les oiseaux et les qua­dru­pèdes, ain­si que les agen­ce­ments du sol.

Il contem­pla et dis­cer­na en lui-même pour ce qui était à proxi­mi­té, et par­mi les dix mille êtres pour ce qui était dis­tant.

C’est ain­si qu’il conçut les huit tri­grammes, s’é­tant péné­tré de la clar­té du Ciel et de la Terre et ins­pi­ré de leurs ver­tus, afin de clas­si­fier les dix mille êtres par leurs natures.

Nouant des cor­de­lettes il fabri­qua des filets et des nasses. Il s’ins­pi­ra pour cela de l’hexa­gramme Li, Clar­té.”Fuxi_et_les_Huit_Trigrammes

Cet extrait des for­mules annexes du Zhou Yi attri­bue la créa­tion des tri­grammes à Fu Xi (ici nom­mé Bao Xi). Ain­si, selon la mytho­lo­gie, c’est donc sur l’ob­ser­va­tion et le dis­cer­ne­ment visuel qu’est basée la créa­tion des tri­grammes…

Mais repre­nons tout cela en détail :

1 – Observations

古者包犧氏之王天下也,Gǔ zhě bāo xī shì zhī wàng tiān xià yě

仰則觀象於天,yǎng zé guān xiàng yú tiān

俯則觀法於地,fǔ zé guān fǎ yú de

“Jadis, Bao Xi, roi du monde, leva la tête et obser­va les phé­no­mènes dans le Ciel, bais­sa les yeux et obser­va les mani­fes­ta­tions sur la Terre. Il obser­va les signes dis­tin­guant les oiseaux et les qua­dru­pèdes, ain­si que les agen­ce­ments du sol.”

Le regard com­mence en effet par se por­ter sur le Ciel, la Terre, puis sur les ani­maux (volants ou qua­dru­pèdes) et d’autres formes ter­restres. Notons au pas­sage qu’à la ligne 1 le terme “王wàng roi” trouve sa pleine jus­ti­fi­ca­tion éty­mo­lo­gique puis­qu’il repré­sente gra­phi­que­ment un trait ver­ti­cal qui relie trois niveaux.

Les lignes 2 et 3 (celle qui parlent du Ciel et de la Terre) ont une struc­ture iden­tique : leur der­nier mot sont res­pec­ti­ve­ment “天tiān Ciel” et “地de Terre”. Leur pre­mier terme cor­res­pond à “regar­der vers le haut” et “regar­der vers le bas”. zeLe second mot “則zé” est com­mun : il signi­fie “prendre pour modèle, imi­ter”. Il est com­po­sé à droite du cou­teau (qui exprime la dis­tinc­tion) et du cau­ris (mon­naie, offrande, objet pré­cieux, valeur d’é­change). Vient ensuite en troi­sième posi­tion  “觀guān” (éga­le­ment titre de l’hexa­gramme 20), que nous tra­dui­rons pour le moment par “obser­ver” (mais nous ver­rons plus tard qu’il recèle un bien plus grand poten­tiel). L’a­vant-der­nier carac­tère indique sim­ple­ment la loca­li­sa­tion ou la com­pa­rai­son. Reste donc le 4ème carac­tère…

A la seconde ligne, 象xiàng ‚que j’ai pla­te­ment tra­duit par “phé­no­mène”, est éga­le­ment uti­li­sé dans le Yi Jing pour dési­gner le cha­pitre de chaque hexa­gramme inti­tu­lé en fran­çais “l’I­mage”. Repré­sen­tant gra­phi­que­ment un élé­phant, il signi­fie à la fois ce qui est visible et ce qui peut être déduit ou devi­né par l’ob­ser­va­tion des traces. L’ex­pres­sion “天象 tiān xiàng” évoque à la fois les corps célestes obser­vables et les phé­no­mènes qui se mani­festent dans le Ciel. D’où le sens géné­ral de “Image, sym­bole, forme, aspect, appa­rence, phé­no­mène, idée d’i­mi­ter et de prendre pour modèle”…

A la troi­sième ligne, 法Fǎ, que j’ai choi­si de tra­duire par “mani­fes­ta­tion”, est en géné­ral tra­duit par “loi” mais cor­res­pond éga­le­ment à : appa­rence, modèle, exem­plaire, imi­ter, phé­no­mènes et reflets de ces phé­no­mènes dans l’esprit humain.

觀鳥獸之文,guān niǎo shòu zhī wén

與地之宜。yǔ de zhī yí

guanNous retrou­vons à la qua­trième ligne “觀guān obser­ver” pré­cé­dant le terme géné­rique dési­gnant les oiseaux (donc ce qui évo­lue dans le ciel) et celui qui désigne les qua­dru­pèdes (donc ce qui se déplace sur terre). Le qua­trième mot 之zhī indique en géné­ral l’ap­par­te­nance, mais repré­sente éty­mo­lo­gi­que­ment une petite plante qui se déve­loppe en branches et tronc. Le der­nier mot de la phrase est “文wén écri­ture, lignes entre­croi­sées” (peut-être les traces des ani­maux ou des lignes géo­lo­giques).

Reve­nons pour finir à xiangxiàng phé­no­mène”. Dans le Yi Jing ce terme désigne éga­le­ment cha­cune des quatre com­bi­nai­sons pos­sibles par la super­po­si­tion de deux traits conti­nus ou dis­con­ti­nus. L’an­té­rio­ri­té de la créa­tion des tri­grammes par rap­port aux hexa­grammes est his­to­ri­que­ment fausse, mais d’autres récits ou gra­phiques consi­dèrent la genèse des hexa­grammes comme la super­po­si­tion pro­gres­sive de un, puis deux, puis trois, puis six traits. Selon ces théo­ries les tri­grammes sont for­més à par­tir des quatre象xiàng élé­men­taires. Nous retrou­vons donc à la fois les sens appor­tés par “王wàng roi, union des 3 niveaux” et “文wen, lignes entre­croi­sées, traces, strates végé­tales ou géo­lo­giques”. Ce der­nier signi­fiait éga­le­ment “dis­tin­gué, éclai­ré, beau­té appa­rente, écri­ture, civi­li­sa­tion”. Remar­quons éga­le­ment que l’u­nion de ces deux carac­tères forme l’ex­pres­sion “文王wén wàng” qui désigne le roi Wen (auquel l’a­dresse inter­net de cette Ency­clo­pé­die emprunte le nom), fon­da­teur de la dynas­tie des Zhou, et à qui l’on attri­bue une par­tie des pre­miers com­men­taires sur le Yi Jing…

Divi­na­tion et Vision juste (7/12)

Divi­na­tion et Vision juste (9/12)

CRÉDITS IMAGES (DANS L’ORDRE D’AFFICHAGE) : DOMAINE PUBLIC / Alain Leroy