Humanité, bien commun

Ain­si dans «     jiàn   dà    rén     voir ; grand ; homme » c’est plu­tôt par “humain” que «  rén » devrait être tra­duit que par “homme”…

Cela per­met­trait au pas­sage d’é­car­ter l’a­mal­game avec la figure mas­cu­line (homme ≠ femme), mais sou­li­gne­rait sur­tout la carac­té­ris­tique d’huma­ni­té : il ne s’a­git pas ici d’un indi­vi­du à dis­tance (un vieux sage, le yi jing (méta­pho­ri­que­ment repré­sen­té par “l’oncle Li”), cumu­lant les tra­vers de la figure sin­gu­lière, mas­cu­line, étran­gère, expé­ri­men­tée et d’une étrange bien­veillance dés­in­té­res­sée). Il ne s’a­git pas non plus de “trou­ver le grand homme à l’in­té­rieur de soi” : nous ne sommes plus au trait 1 dans un repli, une conte­nance de soi. Tout au contraire le déploie­ment a com­men­cé, pas sous la forme d’une émer­gence indi­vi­duelle, mais par l’ou­ver­ture au bien com­mun décla­rée avec “ dà grand”.

Engagement

“Spec­tare” cor­res­pon­dance latine de « jiàn  voir » , a don­né en fran­çais res­pect. “Tenir en res­pect” c’est tenir à dis­tance, mais aus­si consi­dé­rer, tenir compte de l’exis­tence de l’autre et le recon­naître comme un autre soi-même. Cepen­dant éty­mo­lo­gi­que­ment res­pec­ter ce n’est pas “regar­der l’autre”, c’est “regar­der en arrière”. Ce que l’on regarde en arrière ce sont les enga­ge­ments pris. L’autre n’est plus un étran­ger que l’on observe, mais l’ob­jet d’un contrat moral. Ici encore, plu­tôt qu’émer­gence, le mot-clé est enga­ge­ment.

Il y a donc à ce niveau décla­ra­tion d’ap­par­te­nance à l’huma­ni­té. En fran­çais la magie du mot per­met d’é­vo­quer à la fois le plu­riel (la tota­li­té des humains) et la rela­tion per­son­nelle, voire affec­tive, à ce col­lec­tif (“faire preuve d’hu­ma­ni­té”, “huma­nisme”) : conju­gai­son du sens de l’ap­par­te­nance et enga­ge­ment per­son­nel à ser­vir pour le bien com­mun.

humanité discernementDiscernement

Pour­sui­vons notre lec­ture à rebours du texte total asso­cié au trait 2 « 見龍在田利見大人 » :

La notion de bien com­mun est carac­té­ri­sée par «   lì pro­fi­table », puis par «  tián  champ », deux termes pro­ve­nant du voca­bu­laire agri­cole.

champ profitable discernement«  » est com­po­sé à droite du signe d’une graine et à gauche de celui d’une lame et désigne donc l’ac­tion de récol­ter ce qui a été culti­vé, mais éga­le­ment celle de cou­per, sépa­rer ce qui fait natu­rel­le­ment lien, pour nour­rir. Remar­quons qu’en fran­çais aus­si le mot “culture” (au sens de cultu­rel) fait réfé­rence à un patri­moine col­lec­tif.

«  » est le car­ré de la terre divi­sé en par­celles, éga­le­ment défi­nies comme les 4 hori­zons ter­restres sous le ciel. Le dis­cer­ne­ment (qua­li­té visuelle) au sein du bien com­mun est donc fruc­tueux. Les traits cen­traux de l’i­déo­gramme repré­sentent à la fois les talus entre les champs, mais aus­si les cana­li­sa­tions qui per­mettent de les irri­guer : le dis­cer­ne­ment conjugue ici à la fois bien com­mun, source, fruit et pro­fit pour cha­cun. En Cévennes c’est l’ab­sence d’en­tre­tien du bien com­mun en amont (cultures en ter­rasses et micro-bar­rages) qui pro­voque les catas­trophes “natu­relles” en aval. De nos jours, après les dérives de la mono­cul­ture inten­sive, nous consta­tons l’im­por­tance du “maillage boca­ger” pour la fécon­di­té et la pré­ser­va­tion des sols.discernement

«  lì pro­fi­table » et «  tián champ » nous pro­posent donc une autre lec­ture de “divi­ser pour régner” : il n’y a ici aucune hié­rar­chie ou mani­pu­la­tion poli­tique : ce qui fait auto­ri­té c’est le sens ini­tial d’ap­par­te­nance au col­lec­tif, la néces­si­té d’un dis­cer­ne­ment et d’un enga­ge­ment per­son­nel anté­rieurs en vue de l’en­ri­chis­se­ment des biens per­son­nels et com­muns.

Considération

Lisant tou­jours la phrase chi­noise à rebours, décryp­tons main­te­nant «  zài  se trou­ver à»… :

« 見龍在田 »  est clas­si­que­ment tra­duit par “Dra­gon appa­rais­sant dans le champ”.

se trouver discernement«  zài » indique bien une loca­li­sa­tion per­son­nelle ( cái dis­tinc­tion indi­vi­duelle) en un lieu ( tǔ terre ou mon­ti­cule). On retrouve donc la notion d’ap­par­te­nance à un ensemble plus grand que soi. Mais un des autres sens pos­sibles de «  zài »  est “Exa­mi­ner ; consi­dé­rer ; obser­ver”. Nous retrou­vons donc l’u­ni­vers visuel, mais bien plus que pour une simple appa­ri­tion, l’emphase doit être mise sur la néces­si­té du dis­cer­ne­ment au sein d’un uni­vers.

Est-ce pour sou­li­gner cette pré­do­mi­nance du dis­cer­ne­ment sur l’ap­par­te­nance que para­doxa­le­ment la gra­phie actuelle de «  zài » et de cer­taines gra­phies pri­mi­tives montrent le signe comme sur­plom­bé, inclus dans (le conte­nu “conte­nant” donc ce à quoi il est sup­po­sé appar­te­nir…) ?

discernementD’autres variantes antiques pro­po­saient une repré­sen­ta­tion moins hié­rar­chique, plus hori­zon­tale et donc un rap­pro­che­ment avec les notions évo­quées par «  tián champ » et d’une façon plus géné­rale la “consi­dé­ra­tion entre les hommes” : “見 大 人”.

considération discernement

Divi­na­tion et Vision juste (6/12)

Divi­na­tion et Vision juste (8/12)

CRÉDITS IMAGES (DANS L’ORDRE D’AFFICHAGE) :  Alain Leroy / Alain Leroy / Franck NGUYEN / Alain Leroy / Alain Leroy / blog.daum.net