Résumé du chapitre 3 de « Les deux raisons de la pen­sée chi­noise, Div­ina­tion et idéo­gra­phie » de Léon Van­der­meer­sch. (éd. Gal­li­mard).

Jusqu’au 5ème siè­cle av JC, l’écri­t­ure, tout en restant aux mains des fonc­tion­naires-devins, s’est pro­gres­sive­ment éman­cipée de son statut d’équa­tion div­ina­toire pour devenir mode d’ex­pres­sion de toutes les formes de dis­cours :

Peu de temps après les pre­mières écri­t­ures sur os, sont apparues les inscrip­tions sur bronze. Il y avait depuis longtemps des illus­tra­tions sur terre cuite mais l’ab­sence de syn­taxe leur enlève le statut d’écri­t­ure. La vais­selle rit­uelle (chau­drons, pas­soires, vas­es, bassins) était dédiée au culte des ancêtres, le pou­voir poli­tique étant trans­mis par descen­dance. Ce sont les Shang qui ont éten­du l’u­til­i­sa­tion du bronze, jusque là réservé aux armes, à la fab­ri­ca­tion de la vais­selle royale. Avant le roi Wu aucune pièce ne com­por­tait d’in­scrip­tion hormis quelques rares mono­grammes.

691Aux guer­ri­ers les plus méri­tants étaient offertes des pièces de choix por­tant de très brèves dédi­caces men­tion­nant le nom des ancêtres du récip­i­endaire, con­stru­it à par­tir du cal­en­dri­er sex­agési­mal, imi­tant ain­si la forme des inscrip­tions orac­u­laires. Plus tard cette data­tion fut com­plétée des mérites jus­ti­fi­ant cette récom­pense.
Cette pra­tique d’at­tri­bu­tion de pièces témoins d’une récom­pense ou d’une pro­mo­tion con­nut son plein essor sous les Zhou tant par la quan­tité des pièces offertes que de la longueur de texte (jusqu’à 500 car­ac­tères). Les scribes-devins étaient chargés de rédi­ger mais aus­si de réper­to­ri­er ces actes sur des reg­istres reliés en soie, bois ou bam­bou : plus la pro­mo­tion ou le réc­it cor­re­spondait à un rang élevé, plus le texte devait être long et détail­lé, oblig­eant pro­gres­sive­ment à une langue de plus en plus nuancée.

La rime chi­noise provient égale­ment des inscrip­tions sur bronze : les pre­miers recueils de poésie étaient pour une part com­posés de sim­ples chan­sons locales, mais tout d’abord de chants rit­uels pro­fanes ou liturgiques. La musique et les rites étaient les régu­la­teurs de l’or­dre social : les rites agis­saient sur la con­duite extérieure, la musique fai­sait ressen­tir intérieure­ment “la loi du Ciel”. Ain­si le respon­s­able de la musique occu­pait-il l’un des plus hauts rangs admin­is­trat­ifs et la mise en forme des chants liturgiques fut-elle égale­ment con­fiée aux suc­cesseurs des danseurs chamaniques : les scribes-devins.

Les chants pop­u­laires (satiriques) n’ont été recueil­lis que beau­coup plus tard lors d’une péri­ode de déclin du pou­voir, mais même leur retran­scrip­tion de l’o­ral vers l’écrit fai­sait l’ob­jet d’un remaniement pour la bonne inté­gra­tion au cor­pus rit­uel (homogénéi­sa­tion quadri­syl­labique entre autres peut-être sur le mod­èle de la séquence div­ina­toire ini­tiale). Autre con­séquence : la var­iété des thèmes traités a provo­qué un nou­v­el élar­gisse­ment du lex­ique graphique.

Si les récip­i­ents en bronze étaient offerts aux méri­tants, les écrits admin­is­trat­ifs (div­ina­tions, mémoires his­toriques, chants) s’ef­fec­tu­aient eux sur des lamelles de bam­bou ou sur étoffe. Le faible coût des tiges de bam­bou per­mit aux scribes de pro­gres­sive­ment gliss­er des écrits formels à la rédac­tion et au stock­age de notes plus informelles.

L’écri­t­ure ver­ti­cale “à la chi­noise” n’est pas due à la forme des tiges de bam­bous (qui auraient pu être dis­posées hor­i­zon­tale­ment) mais con­firme l’o­rig­ine div­ina­toire de l’écri­t­ure : les pre­mières “équa­tions” étaient gravées sur les cara­paces le long des fis­sures ver­ti­cales.

Si l’écri­t­ure et le cal­cul, ain­si qu’un ensem­ble de textes étaient enseignés aux aris­to­crates de la dynas­tie Zhou, la rédac­tion des textes offi­ciels restaient mal­gré tout le priv­ilège des scribes-fonc­tion­naires.

C’est Con­fu­cius (551–479 av JC) qui a brisé le mono­pole de l’écri­t­ure chi­noise par l’ad­min­is­tra­tion et per­mis l’émer­gence de la lit­téra­ture per­son­nelle. Cette nou­velle révo­lu­tion par l’écri­t­ure s’est effec­tuée en deux temps :
— Souhai­tant restau­r­er l’e­sprit ini­tial de la dynas­tie Zhou, il effec­tua tout d’abord une retran­scrip­tion rec­ti­fica­tive des “Annales”, soulig­nant les déviances des suc­cesseurs de la dynas­tie et réaf­fir­mant les principes orig­inels. Il révisa égale­ment les “Odes”, socle de l’or­dre social, et le code de la div­ina­tion, racine de la cul­ture chi­noise. Ces révi­sions sont la base des textes canon­iques chi­nois (elles furent en fait détru­ites par l’au­todafé de l’empereur Qin et “recon­sti­tuées” au cours de la dynas­tie Han).

Une page des

Une page des “Entre­tiens de Con­fu­cius”

- Le sec­ond temps de cette révo­lu­tion pris place après la mort de Con­fu­cius lorsque ses élèves décidèrent de pub­li­er ce qu’ils rete­naient de ses leçons (“Les Entre­tiens de Con­fu­cius”)  alors que jusque là seuls les paroles royales étaient retran­scrites…
Au cours de cette péri­ode de grande effer­ves­cence en Chine, la polémique avec d’autres courants de pen­sée s’é­ten­dit alors au domaine de l’écrit, don­nant nais­sance à la lit­téra­ture d’au­teur

De l’ostéomancie à la chélo­nioman­cie (Pr Van­der­meer­sch)

Col­loque Djo­hi « Léon Van­der­meer­sch »

CRÉDITS IMAGES (dans l’ordre d’affichage) : Alain Leroy, bronze du musée Guimet / Manuscrit issu des collections du musée des antiquités de l’extrême orient de Stockolm (Suède).