Section 3 du Zhou Yi Lue Li (chapitres 1 et 2) : Analyse

” Explications sur les Hexagrammes, adaptation des Changements, compréhension des Lignes ”


Premier chapitre

L’hexagramme con­sid­ère le moment.
Les lignes cor­re­spon­dent aux change­ments en rap­port avec ce moment.

Représentation graphique du moment 

夫 卦 者 時 也
L’hexagramme con­sid­ère le moment.
爻 者 適 時 之 變 者 也
Les lignes cor­re­spon­dent aux change­ments en rap­port avec ce moment.

Cette intro­duc­tion ressem­ble au dernier chapitre de la sec­tion précé­dente : on y par­le d’hexa­gramme et de moment à la pre­mière ligne, de lignes et de change­ment à la sec­onde.

Quelles sont les dif­férences ?

En pre­mière ligne “per­pétuent la qual­ité du moment” prê­tait à l’hexa­gramme le rôle d’un main­tien d’une car­ac­téris­tique pro­pre au fil du temps. Ici on reprend le terme déjà présent en intro­duc­tion aux deux sec­tions précé­dentes dans les ques­tions “Qu’est-ce que le Juge­ment ?” , “Qu’est-ce que les lignes ?”, “Qu’est-ce que les change­ments ?”  zhě “celui qui”. Nous avons jusque-là traduit ce terme très com­mun dans son sens le plus courant d’une référence au mot prin­ci­pal de la phrase. Mais ici sa fonc­tion est dif­férente : le com­posant du bas  mon­tre une bouche qui par­le, celui du haut représente un vieil homme et donc par analo­gie “quelque chose qui reste”. Le moyen de fix­er les paroles est l’en­cre, l’écri­t­ure. L’idée de main­tien du temps est donc égale­ment présente dans cet idéo­gramme… Rap­pelons qu’à l’époque de l’ostéo­man­cie, à côté des fis­sures div­ina­toires étaient men­tion­nés les hexa­grammes, la tran­scrip­tion du con­texte (date, ques­tion, per­son­nes présentes) et le pronos­tic. La pre­mière ligne se traduit donc tout sim­ple­ment par :

L’hexa­gramme est la représen­ta­tion graphique d’un moment.

zhě appa­raît égale­ment en sec­onde ligne à la suite de  yáo “lignes ” et devant  shì “aller à, con­venir, cor­re­spon­dre”.  Ce dernier n’ap­pa­raît (4 fois) que dans la sec­tion 3. Il est util­isé pour désign­er une fille qui se rend à la mai­son de son fiancé pour célébr­er les noces. Nous recon­nais­sons effec­tive­ment en bas  chuò “marcher” ; l’autre com­posant est  qui représente un pied ou la racine d’une plante. D’où l’idée de chang­er de mai­son, de “sit­u­a­tion sta­ble”. Cela cor­re­spond à la fonc­tion des traits déjà définie à plusieurs repris­es. Tout aus­si sim­ple­ment la sec­onde ligne devient :

Les traits sont la représen­ta­tion graphique des change­ments de moment.

L’im­por­tance de l’im­age d’ ”une fille qui se rend à la mai­son de son fiancé pour célébr­er les noces” se révèlera au sec­ond chapitre. A ce stade men­tion­nons sim­ple­ment le lien avec l’hexa­gramme H54 “Mariage de la cadette”.

 

Deux­ième chapitre

Selon qu’il s’agit de moments d’adversité ou de prospérité, il faut agir ou se repli­er.
Des hexa­grammes de décrois­sance ou de crois­sance impliquent les ter­mes « dif­fi­culté » ou « facil­ité ».

Incohérence ?

夫 時 有 否 泰 故 用 有 行 藏
Selon qu’il s’agit de moments d’adversité ou de prospérité, il faut agir ou se repli­er.
卦 有 小 大 故 辭 有 險 易
Des hexa­grammes de décrois­sance ou de crois­sance impliquent les ter­mes « dif­fi­culté » ou « facil­ité ».

Dans la sec­onde phrase, en écho à “décrois­sance ou crois­sance” une expres­sion com­mune est util­isée en fin de ligne, 險易 xiǎn yì, que l’on traduit générale­ment par “dif­fi­cile ou facile” ou encore “mau­vais ou bon”. On fait donc cor­re­spon­dre “dif­fi­cile” à “décrois­sance” et “facile” à “crois­sance”.

C’est une autre expres­sion com­mune qu’u­tilise Wang Bi à la fin de la pre­mière phrase : 行藏 xíng cáng. se traduit générale­ment par “s’engager ou se retir­er”, “atta­quer ou défendre” ou encore “appa­raître ou dis­paraître”.

Mais du coup si on souhaite faire cor­re­spon­dre l’or­dre des mots de cette pre­mière ligne, la recom­man­da­tion d’ ”agir, s’en­gager, atta­quer” à un moment d’ ”adver­sité” est assez sur­prenante. En effet le con­seil de sa Grande Image est “il se détourne des hon­neurs et des avan­tages qui s’ensuivent.”

La sug­ges­tion de “se repli­er” en un temps de “prospérité” résonne lui  aus­si assez étrange­ment… Sa Grande Image souligne l’ ”apti­tude à parachev­er la voie du Ciel-terre et à […] ain­si assis­ter le peu­ple”.

L’essen­tiel du présent doc­u­ment con­sis­tera à répon­dre à cette pre­mière ques­tion :

S’ag­it-il d’une erreur, d’un manque de rigueur ou d’une inten­tion délibérée ?

Plusieurs approches sont envis­age­ables :

- accepter d’in­vers­er l’or­dre des asso­ci­a­tions et par con­séquent com­pren­dre que l’ ”adver­sité” con­duit au “repli” tan­dis que la “prospérité” per­met l’ ”action”. C’est ce que sem­blent admet­tre tacite­ment les tra­duc­teurs Marie-Ina Berg­eron (“l’ac­tiv­ité ou la retraite”) et John Lynn (“action ou retrait”).

- con­sid­ér­er que l’or­dre pro­posé et les tra­duc­tions sont per­ti­nents et par con­séquent com­pren­dre pourquoi l’ac­tion est recom­mandée face à l’ad­ver­sité et le repli con­seil­lé en péri­ode prospère.

- con­sid­ér­er que l’or­dre pro­posé est per­ti­nent mais creuser la tra­duc­tion afin d’en extraire un sens plus appro­prié.

Struc­tures

Si l’on écarte la locu­tion intro­duc­tive  la struc­ture de cha­cune des deux lignes devient sim­i­laire :

A + B ou C + D + E ou F

ou

sujet + y avoir + car­ac­téris­tiques B ou C + donc + moyen + y avoir + con­séquences E ou F

que l’on peut encore exprimer :

sujet  car­ac­téris­tiques B ou C

⇓                         ⇓

moyen  con­séquences E ou F

Appa­rait donc une sec­onde analo­gie : au sein de chaque phrase, de part et d’autre de l’axe  “donc”, les struc­tures sont iden­tiques, cha­cune elle-même cen­trée autour d’un axe yǒu “y avoir”. Cette con­fig­u­ra­tion per­met d’as­soci­er d’une part le sujet au moyen, et d’autre part les car­ac­téris­tiques aux con­séquences.

Une telle rigueur géométrique con­firme l’im­por­tance de la dis­symétrie entre les car­ac­téris­tiques et les con­séquences de la pre­mière ligne.

Car­ac­téris­tiques asso­ciées aux moments

Les sujets des pre­mière et sec­onde lignes sont donc respec­tive­ment les moments et les hexa­grammes. Les sec­onds étant la représen­ta­tion graphique des pre­miers, regar­dons si un même lien fonc­tion­nel peut s’ap­pli­quer aux autres mem­bres des phras­es.

Com­mençons par les car­ac­téris­tiques pos­si­bles pour chaque sujet, et dans un pre­mier temps celles asso­ciées aux moments :

- pǐ “adver­sité” est le nom de l’hexa­gramme H12 . La dynamique ascen­dante du tri­gramme supérieur l’empêche de ren­con­tr­er celui du bas descen­dant. Une bouche ou un  ensem­ble qui ne com­mu­niquent pas reflè­tent bien cette sit­u­a­tion. La forme graphique, mais surtout la dynamique très typée (tri­grammes pur yang et pur yin) per­me­t­tent alors de con­sid­ér­er H12 comme le pro­to­type des sit­u­a­tions d’ad­ver­sité. 

- tài “prospérité” est le nom de l’hexa­gramme H11 . La dynamique ascen­dante du tri­gramme inférieur lui per­met de se join­dre à celui du haut qui vient égale­ment à sa ren­con­tre. deux mains jointes en un même flux et pro­duisent ain­si quelque chose de plus grand reflè­tent bien cette sit­u­a­tion. On peut égale­ment con­sid­ér­er H11 comme le pro­to­type des sit­u­a­tions de prospérité. 

Caractéristiques associées aux hexagrammes

Ain­si avant même de par­ler des hexa­grammes en sec­onde ligne, les ter­mes choi­sis au début de la pre­mière phrase for­cent donc le lecteur à un rap­proche­ment entre moments et deux hexa­grammes par­ti­c­uliers…

Vient alors une sec­onde ques­tion :

définis­sant en sec­onde ligne les car­ac­téris­tiques des hexa­grammes par­le-t-on :

- des hexa­grammes en général ?

- des hexa­grammes d’ad­ver­sité et de prospérité en général (dont H12 et H11 sont les pro­to­types) ?

- des hexa­grammes H11 et H12 ?

Petit et Grand

xiǎo “petit” et   “grand” sont des mots sim­ples, élé­men­taires, mais leur poten­tiel est riche :

- rap­pelons tout de suite l’im­por­tance du con­texte et du relatif dans le vocab­u­laire chi­nois : une forme est petite ou grande par rap­port à une autre ou au cadre de la sit­u­a­tion.

- cer­tains chercheurs affir­ment que “petit” et “grand” étaient les ter­mes util­isés avant l’ap­pari­tion des con­cepts yin et yang.

- xiǎo et  dà peu­vent égale­ment se traduire selon un point de vue dynamique : “décrois­sance” et “crois­sance”

Petit

xiǎo et  dà sont tous deux com­posés de trois traits. Ces traits sont dis­joints pour xiǎo.

Beau­coup de formes anci­ennes sur les bronzes représen­taient un nou­veau-né ou un humain sous ces trois traits :

Le Shuo Wen voit en xiǎo la plus petite chose pos­si­ble et l’in­ter­prète graphique­ment comme  “le nom­bre huit” avec un trait ver­ti­cal 丨 mar­quant la re-divi­sion.

Oubliant les lec­tures ortho­dox­es, en lien avec nos décou­vertes de la sec­tion 2, nous pou­vons égale­ment y retrou­ver l’im­age du flux cen­tral entre deux lim­ites opposées…

Grand

Les trois traits du car­ac­tère  dà sont joints. S’é­car­tant là encore des lec­tures clas­siques on pour­rait y voir deux flux opposés (les pieds droit et gauche de  l’homme en marche) qui con­ver­gent en un seul avec  un trait d’u­nion cette fois-ci hor­i­zon­tal, donc encore le flux cen­tral, l’al­ter­nance entre les opposés et l’ac­cès au plus vaste…

Le Shuo Wen dit : “Le Ciel est grand ; la Terre est grande ; mais l’homme aus­si est grand. C’est pourquoi dà représente un homme.” L’in­ter­pré­ta­tion tra­di­tion­nelle y voit effec­tive­ment un homme dont  les bras écartés expri­ment une grande largeur. L. Wieger y voit un adulte, donc sim­ple­ment quelque chose de plus grand qu’un enfant.

Relations

Nous pou­vons main­tenant répon­dre à la sec­onde ques­tion : xiǎo et  dà font-ils référence aux hexa­grammes en général, aux hexa­grammes d’ad­ver­sité et de prospérité en général, ou aux hexa­grammes H11 et H12 ?

- Les tri­grammes de H12  se dis­joignent comme les traits de 小 xiǎo, mais égale­ment comme les deux “petits” demi-traits “advers­es” des lignes yin , deux lim­ites entre lesquelles appa­raît un espace libre pour la cir­cu­la­tion d’un flux représen­té dans xiǎo par le trait ver­ti­cal cen­tral.   xiǎo est donc fonc­tion­nelle­ment lié à  “adver­sité”, lui-même graphique­ment représen­té par H12.

- De même les tri­grammes de H11  se rejoignent comme les deux traits ver­ti­caux de  . Le trait hor­i­zon­tal scelle ce lien et exprime l’ex­pan­sion qui en résulte. Il est sem­blable au  trait yang.  dà est donc fonc­tion­nelle­ment lié à  tài “prospérité”, représen­té graphique­ment par H11. 

En con­clu­sion  xiǎo et   sem­blent bien être en lien avec H11 et H12, qu’on les con­sid­ère comme des pro­to­types ou non. La tra­duc­tion la plus adéquate exprime leurs dynamiques :

amoin­drisse­ment ou accroisse­ment

Types d’action

En quoi pou­vons-nous main­tenant con­necter (“hor­i­zon­tale­ment” dans notre sché­ma) d’une part  yòng “agir, employ­er” aux moments et d’autre part   “mot, expli­ca­tion” aux hexa­grammes ? Et en quoi pou­vons-nous reli­er (“ver­ti­cale­ment” dans notre sché­ma) yòng “agir, employ­er” à  “mot, expli­ca­tion” ?

moments         yòng “agir, employ­er”

                         ⇓

hexa­grammes         “mot, expli­ca­tion”

Les moyens d’expliquer

Com­mençons par le plus sim­ple, en sec­onde ligne :   “mot, expli­ca­tion”: son com­posant de gauche sig­ni­fie “gou­vern­er” et mon­tre deux mains entourant une potence à laque­lle sont accrochées deux récip­i­ents ou cloches : jouant un peu sur les mots on pour­rait dire que gou­vern­er con­siste donc à choisir entre “deux sons de cloches”. Nous retrou­vons encore l’idée d’un axe cen­tral définis­sant un équili­bre dans l’ouverture entre deux lim­ites (main du haut, main du bas ou sup­ports de la potence).

est le com­posant de droite de  cí. Il représente un poinçon avec lequel on tatouait le vis­age des con­damnés. Il com­porte donc à la fois la notion de gra­phie indélé­bile et l’ex­pres­sion d’un juge­ment défini­tif et claire­ment vis­i­ble par tous. Com­bi­nant les deux gra­phies on com­prend aisé­ment com­ment les appré­ci­a­tions man­tiques de “dif­fi­culté ou facil­ité” seront des expli­ca­tions claires de l’ori­en­ta­tion des hexa­grammes.

A ce stade la tra­duc­tion de la sec­onde ligne devient quelque chose comme :

Les hexa­grammes d’amoin­drisse­ment ou d’ac­croisse­ment s’ex­pri­ment en ter­mes de « dif­fi­culté » ou « facil­ité ».

« Dif­fi­culté » ou « facil­ité » (dans le Juge­ment) sont donc  cí le moyen d’ex­pli­quer la dynamique des hexa­grammes.

Les moyens d’a­gir 

Revenons main­tenant à la pre­mière ligne… Il existe deux lec­ture éty­mologiques de  yòng “agir, employ­er” :

- un vase rit­uel en bronze ou une cloche pour les offran­des aux ancêtres

- la com­po­si­tion de  “div­ina­tion” et zhòng “tomber juste”.

Dans les deux cas, sac­ri­fice-offrande ou div­ina­tion, on attend un résul­tat en retour :  yòng est donc bien un moyen, un médi­um.

Le com­posant  zhòng “cen­tre” vient coïn­cider avec la sig­ni­fi­ca­tion latine de “medi­um” : moyen, milieu, lien. Cela vient encore nour­rir notre théorie de l’axe cen­tral entre deux lim­ites.

Cela ren­force égale­ment la métaphore des réson­nances musi­cales (la cloche qui était déjà présente dans  cí “mot, expli­ca­tion”) puisqu’en acous­tique le reg­istre médi­um est déter­miné rel­a­tive­ment aux graves et aux aigus et les relie.

Tant qu’à faire, ne résis­tons pas non plus à la déf­i­ni­tion de “médi­um” en div­ina­tion : per­son­ne ou objet sen­si­ble à des influ­ences ou des phénomènes non per­cep­ti­bles par les cinq sens…

En effet l’antonyme de  yòng est   “corps, sub­stance” qui peut désign­er le corps humain, mais aus­si le corps de l’hexa­gramme. Nous avons ren­con­tré ce terme plusieurs fois dans la sec­tion 2, par exem­ple dans la phrase : 體與情反 “Forme et ten­dance sont invers­es”. Ain­si dis­tingue-t-on  , la forme de quelque chose, de  yòng son fonc­tion­nement, sa mise en œuvre.

Le potentiel du moment

 yòng exprime donc une ten­dance, une dynamique. Cela est ain­si affir­mé par le Shuo Wen : “ yòng  est ce qui promet de se réalis­er, ce qui a une poten­tial­ité d’expansion”.

Obser­vons pour finir (et con­firmer la cor­re­spon­dance) que l’un des sens attribués à  yòng est « gou­vern­er », à l’in­star du com­posant de droite de   “mot, expli­ca­tion”.

Nous avions au cours des para­graphes précé­dents déter­miné deux rela­tions :

- L’hexa­gramme est la “représen­ta­tion graphique” d’un moment.

- Aux hexa­grammes cor­re­spon­dent des “moyens d’ex­pli­quer”.

Par une analo­gie dans les deux direc­tions nous pou­vons donc déduire que :

- Les “moyens d’ex­pli­quer” sont à  yòng l’équiv­a­lent de ce que sont les hexa­grammes aux moments : la représen­ta­tion d’une réal­ité face à cette réal­ité elle-même.

- Aux moments cor­re­spon­dent des “moyens”  yòng de la même façon qu’aux hexa­grammes cor­re­spon­dent des “moyens d’ex­pli­quer”. A la réal­ité du moment fait suite le développe­ment de cette réal­ité.

 yòng est donc le moyen dynamique, la ten­dance, le médi­um, le poten­tiel du moment.

Différences de potentiels

Ces dif­férences se révèle “au milieu” , entre les deux pôles que con­stituent les tri­grammes yin et yang, c’est-à-dire dans l’hexa­gramme nucléaire.

- Con­sid­érant la dynamique du moment d’ad­ver­sité on con­state que la ten­sion entre les deux opposés yin/yang, leur dif­férence de poten­tiel devient encore plus grande avec la dis­tance : le yang est encore plus yang, et le yin encore plus yin. Les tri­grammes “se déploient”.

L’hexa­gramme nucléaire de H12  est H53 “Pro­grès gradu­el”. Ain­si au cœur de la sit­u­a­tion d’ad­ver­sité il y a pro­gres­sion par étape.

On lit dans le Juge­ment de H53 : 女歸 nǔ guī “Pren­dre pour épouse.”.  Cela cor­re­spond bien à la dynamique de  xìng “agir, marcher, s’en­gager”.

- De manière iden­tique, si on con­sid­ère la dynamique du moment de prospérité la dif­férence de poten­tiel s’at­ténue par le rap­proche­ment du yin et du yang, puisqu’ils s’im­prèg­nent récipro­que­ment de leurs essences. Les tri­grammes “se replient” dans l’in­tim­ité vers l’autre.

L’hexa­gramme nucléaire de H11  est H54  “Mariage de la cadette”. Ain­si au cœur de la sit­u­a­tion de prospérité il y a revire­ment.

On lit dans le Juge­ment de H54 : 征凶 zhēng xiōng “Présage mal­heureux à s’a­vancer.”. Cela cor­re­spond bien au con­seil de  cang “cacher, se con­tenir”.

Ain­si ce qui sem­blait une inco­hérence devient au con­traire tout à fait juste lorsqu’on con­sid­ère la dynamique, le poten­tiel du moment.

Conséquences associées aux hexagrammes

Mais cela veut-il pour autant dire que les asso­ci­a­tions directes adversité/action et prospérité/repli sont infondées ? 

A ce stade notre tra­duc­tion de la sec­onde ligne est :

Les hexa­grammes d’amoin­drisse­ment ou d’ac­croisse­ment s’ex­pri­ment en ter­mes de « dif­fi­culté » ou « facil­ité ».

Nous savons que l’ex­pres­sion finale 險易 xiǎn yì peut se traduire par “dif­fi­cile ou facile”.

- Le dernier mot du chapitre est yì, le même terme qui sig­ni­fie “change­ment” dans “Livre des change­ments”. Il est en cor­re­spon­dance avec  cáng “se repli­er, cacher” en pre­mière ligne dont les com­posants illus­trent que l’on cache ce qui est bon sous l’herbe.

Il se trou­ve juste­ment qu’une autre sig­ni­fi­ca­tion de  “facil­ité, change­ment” est “enlever les mau­vais­es herbes”… Désher­ber, pré­par­er un champ et en aplanir le sol facilite la cul­ture et le développe­ment de ce qui est enfoui replié en germe, en poten­tiel.

- xiǎn “dif­fi­cile” mon­tre au con­traire un ter­rain acci­den­té : à l’hor­i­zon­tal­ité du sol cul­tivable précé­dent s’op­pose la ver­ti­cal­ité du com­posant de gauche 阜 “mur, mon­tic­ule”. Sa gra­phie représente des gradins super­posés, d’où peut-être l’idée d’une cul­ture étagée et un rap­proche­ment avec l’hexa­gramme H53 “Pro­grès gradu­el” (son cor­re­spon­dant en pre­mière ligne est  xìng “agir, pro­gress­er”).

La facil­ité “hor­i­zon­tale” de coïn­cide bien avec le trait hor­i­zon­tal de   “accroisse­ment”, et la dif­fi­culté ver­ti­cale de  xiǎn s’ap­plique bien au trait cen­tral ver­ti­cal de  xiǎo.

Conséquences associées aux moments

- cang “cacher, repli­er” peut égale­ment se déclin­er en “engranger” et indi­quer le temps de la mois­son, l’automne. Mais l’hexa­gramme de l’équinoxe d’au­tomne est H12 “Adver­sité”, alors que nous avions jusque-là asso­cié  cang “cacher, repli­er” à H11 “Prospérité”. Ce dernier cor­re­spon­dant à l’équinoxe de print­emps il sem­ble donc y avoir une con­tra­dic­tion

Les équinox­es sont comme cha­cun sait le moment de l’an­née où la durée de la nuit est égale à celle du jour. Les dynamiques de H11 (print­emps) et H12 (automne) vont bien dans des direc­tions invers­es, mais les deux sit­u­a­tions mon­trent un équili­bre équiv­a­lent dans le rap­port jour/nuit.

Ain­si les deux pistes sont vraies : l’in­ver­sion de l’or­dre des mots à la fin de la pre­mière ligne est délibérée. Elle s’ap­puie sur l’af­fir­ma­tion énon­cée à la sec­tion 2 :

Forme et ten­dance sont invers­es.

et intro­duit l’ensem­ble du troisième et prochain chapitre :

Ce qui est pro­hibé à un moment don­né peut être utile dans une sit­u­a­tion inverse. 

Un bon présage à un moment don­né peut devenir un mau­vais présage dans une sit­u­a­tion inverse,
parce qu’un hexa­gramme peut s’inverser et ses lignes donc chang­er de même.

En défini­tive il n’y a pas de voie con­stante à suiv­re ni de règle toute tracée pour agir.

Agir ou se repos­er, se repli­er ou se déploy­er, selon l’opportunité des change­ments. 

- xìng “agir, marcher, pro­gress­er” com­posé de route de gauche et  route de droite est claire­ment illus­tré par une forme anci­enne du car­ac­tère :

dont les deux voies latérales enca­drent le flux cen­tral comme dans les car­ac­tères  xiǎo “petit” et  dà  “grand”.

C’est le même terme qui désigne les 五行 wǔ xíng “cinq phas­es, agents ou élé­ments” (eau, feu, bois, métal, terre) qui alter­nent en cycles.

Mais   xìng peut égale­ment indi­quer le mariage d’une jeune fille (la marche de la jeune épouse quit­tant la demeure de ses par­ents en direc­tion de son nou­veau foy­er), ce qui per­met de le rap­procher de H54 “Mariage de la cadette”, hexa­gramme opposé de H53 “Pro­grès gradu­el” auquel nous le rat­ta­chions jusque-là…

Cela con­firme que selon le point de vue, dynamique ou sta­tique, selon que l’on con­sid­ère le moment ou la ten­dance en cours, il y a trans­for­ma­tion.

Retour

Le change­ment de mai­son, de “sit­u­a­tion sta­ble” accom­pli par la jeune épouse cor­re­spond à la fonc­tion des traits de l’hexa­gramme. Si on le con­sid­ère depuis le point de départ, depuis la sit­u­a­tion sta­ble matéri­al­isée par la mai­son des par­ents, le sens de  xìng  est  “quit­ter”.

Mais dans le titre de l’hexa­gramme H54 歸妹 guī mèi “Mariage de la cadette”, le mot  guī “mariage” a pour pre­mier sens “revenir chez soi”. Selon le taoïsme, le retour à son orig­ine est le mou­ve­ment qui per­met d’ac­com­plir sa des­tinée. En d’autres ter­mes la jeune épouse “revient” à l’en­droit auquel elle était naturelle­ment des­tinée depuis sa con­cep­tion.

L’hexa­gramme H24  “Revenir” est con­stru­it selon la même logique que H11  : le yang est en bas et monte “naturelle­ment” re-join­dre le yin. C’est pré­cisé­ment dans ses com­men­taires sur H24 que Wang Bi met le plus en avant la notion cen­trale de 無爲 wú wéi “non-agir”. 

Le retour est le mou­ve­ment de la Voie ;
la faib­lesse est la méth­ode de la Voie ;
le ciel et la terre et les dix mille êtres sont issus de l’Être ;
l’Être est issu du Non-être. 

Dao De Jing (chap. 40)