Le tigre, ani­mal et sym­bole, est présent en Chine comme dans toutes les cul­tures asi­a­tiques. On le trou­ve dans les con­tes, le Feng shui, l’astrologie, la phar­ma­copée, les tombes, les déco­ra­tions…

Il fig­ure dans trois hexa­grammes : Hexa­gramme 27 頤, Nour­ri­t­ure, Hexa­gramme 10 履, Démarche et Hexa­gramme 49 革, Révo­lu­tion. Il appa­raît tan­tôt comme le plus dan­gereux des félins, tan­tôt comme la man­i­fes­ta­tion d’un esprit : le sou­verain par excel­lence, juste, sage, pro­tecteur, sour­cilleux, exigeant. Dans tous les cas, il est un mod­èle.

 

Le prédateur

N’ayant jamais hésité à s’attaquer aux hommes ni au bétail, le tigre sait quelle nour­ri­t­ure aller chercher, et com­ment. Dans l’hexagramme 27, 頤, Nour­ri­t­ure, ce côté de pré­da­teur soli­taire, puis­sant et rapi­de est mis en avant.
Ain­si, au trait 4 : 顛 頤 吉 虎 視 眈 眈 其 欲 逐 逐 无 咎
« Egare­ment la NOURRITURE. Faste. Le tigre guette avec les oreilles bais­sées. Son désir c’est pour­suiv­re et pour­suiv­re encore. Pas de faute ».
A ce trait du Min­istre, on a atteint un point de bas­cule. Sur tous les plans, un min­istre a de quoi se nour­rir : prospérité, autorité, réus­site sociale. Que peut-il lui man­quer ? Ques­tion cen­trale de cet hexa­gramme dont le Juge­ment dit : 頤 貞 吉 觀 頤 自 求 口 實, « La NOURRITURE. Présage faste. REGARDER com­ment on se NOURRIT et chercher soi-même de quoi se rem­plir la bouche ».
Comme un tigre, un min­istre se doit d’être à l’écoute de ses pro­pres besoins. A ce trait il est juste de se pos­er la ques­tion : que peut-il lui (me) man­quer ?

Le modèle de sagesse

Le tigre est aus­si l’équivalent de notre lion moyenâgeux : le Roi des ani­maux. Le Roman de Renart décrit le juge­ment autori­taire, sere­in et juste de Noble (c’est son nom) au milieu du cer­cle des ani­maux. Sont mis­es en avant ses qual­ités de force, de droi­ture et de sagesse.
En Chine, la com­para­i­son au roi, et par con­séquent idéale­ment au sage, est d’autant plus vrai que le tigre porte au front des rayures qui ressem­blent à l’idéogramme 王, « roi ».
Le juge­ment Hexa­gramme 10, 履 : la Démarche dit : 履 虎 尾 不 咥 人 亨
Ce qui peut être traduit par : “Marcher sur la queue du tigre ; il ne mord pas la per­son­ne ; faste”
A quoi je préfère : “Marcher à la queue du tigre ; il ne mord pas la per­son­ne ; faste”

En effet, le pro­pos de l’hexagramme Démarche est d’apprendre à marcher de son pro­pre pas. Marcher de son pro­pre pas, c’est respecter son iden­tité unique, en toute cir­con­stance, comme un roi. Quoi de mieux alors que de suiv­re l’exemple d’un sage ?
Ceci nous est con­fir­mé — entre autres — aux traits 3 et 4, ceux de l’Homme. A cet endroit de l’hexagramme, l’Homme orgueilleux qui se prend pour un sage marche en effet sur la queue du tigre et en assume les douloureuses con­séquences.

L’esprit du tigre

Enfin, le tigre appa­raît comme esprit, au sens chamanique du terme, dans l’Hexagramme 49 革, Révo­lu­tion.
Le tigre est cité au trait 5 et la pan­thère (ou plutôt le léopard des neiges) au trait 6. Si le tigre est le sym­bole de la roy­auté dans ce qu’elle a de plus accom­pli, le léopard des neiges est l’animal des dieux, seul gros mam­mifère à tutoy­er les som­mets himalayens.

Trait 5 : 大 人 虎 變 未 占 有 孚
« L’Être d’En­ver­gure trans­forme tel le tigre. Sans même con­sul­ter l’o­r­a­cle, on a con­fi­ance ».
Trait 6 : 君 子 豹 變 小 人 革 面 征 凶 居 貞 吉
«Le Chef Accom­pli trans­forme telle la pan­thère. L’E­tre Petit REVOLUTIONNE son vis­age. Impasse pour des expédi­tions. Demeur­er présage faste ».
Mais ces deux traits pour­raient égale­ment être traduits par :
Trait 5 : « L’Être d’En­ver­gure se méta­mor­phose en tigre. Sans même con­sul­ter l’o­r­a­cle, on a con­fi­ance ».
Trait 6 : « Le Chef Accom­pli se méta­mor­phose en léopard. L’E­tre Petit REVOLUTIONNE son vis­age. Impasse pour des expédi­tions. Demeur­er présage faste ».
En effet, au trait sou­verain la mue a été réal­isée. L’Être d’Envergure, qui sait agir en roi, est habité par l’esprit de la roy­auté. Dès lors, il n’a pas besoin de con­sul­ter l’oracle, puisqu’il est lui-même vecteur de la sagesse du Ciel.
Quant au dernier trait, qui est la leçon à tir­er de l’hexagramme, il nous indique que le vrai pou­voir dépasse celui de la roy­auté. L’Être Petit se con­tente d’une trans­for­ma­tion de façade. Alors que le Chef Accom­pli, pen­dant chi­nois de nos cheva­liers, ceux de la Table Ronde par exem­ple, ne pos­sède aucun fief, n’appartient à per­son­ne, mais suit, détaché, son guide intérieur.
Main­tenant que tout ceci est écrit, prenons-en le con­tre­pied. Ici comme partout ailleurs dans le yi jing, les plans cœur corps et âme coex­is­tent. C’est là le secret des sym­bol­es. Partout où il appa­raît, le tigre est bien tout à la fois un ani­mal ter­ri­fi­ant, un sage qui mon­tre l’exemple, et un esprit qui habite un Être d’Envergure.