Le texte du Yi Jing a beau être un sacré texte, il n’en est pas pour autant un texte sacré : ses dif­férents chapitres ne sont depuis le départ qu’il­lus­tra­tions, com­men­taires de cir­con­stances numériques sin­gulières organ­isées en hexa­grammes.
N’en reste pas moins que le sens général et par­ti­c­uli­er des sen­tences qui le com­posent con­serve un car­ac­tère mys­térieux voire occulte pour ses util­isa­teurs et ses exégètes, même nat­ifs chi­nois.Nuage

La dif­fi­culté est bien sûr encore plus grande pour ceux qui ne vivent pas dans la langue d’o­rig­ine : une indé­ni­able super­po­si­tion de dif­fi­cultés pour les ambitieux  dévoués à sa tra­duc­tion :

  • langues de syn­tax­es et alpha­bets très dif­férents
  • spé­ci­ficités du chi­nois “clas­sique” et impos­si­bil­ité d’ig­nor­er que la langue chi­noise est elle-même en par­tie issue du vocab­u­laire de la div­ina­tion
  • gageure de ren­dre un style lit­téraire ou poé­tique avec lequel la langue de des­ti­na­tion n’a aucune com­mu­nauté de sens, aucune référence cul­turelle autre qu’un cer­tain exo­tisme
  • pour finir néces­sité de se main­tenir dans la voca­tion explica­tive de ces phras­es

Cer­tains de ses tra­duc­teurs français (Javary, Era­nos) ont choisi de débuter ou de se can­ton­ner à une tra­duc­tion mot-à-mot.
Les reproches sco­laires que l’on fait à cette approche sont la nég­li­gence du con­texte et de la syn­taxe : sup­pos­er que l’u­nité de sens puisse être déter­minée par l’opéra­tion d’équiv­a­lence “un mot chi­nois = un mot français = une unité de sens” est générale­ment puérile ou dan­gereux. Pour résoudre les risques du décalque lit­téral on mobilise en principe un arse­nal d’ef­fets ou de procédés :

  • Con­sid­éra­tion du con­texte du dis­cours, de la phrase ou de la sit­u­a­tion générale
  • Equiv­a­lence par adap­ta­tion au con­texte cul­turel de des­ti­na­tion
  • Com­pen­sa­tion des styles ou struc­tures absents dans l’une ou l’autre langue (pluriel,  genre, for­mule de politesse, pronom, décli­nai­son)
  • Util­i­sa­tion sans tra­duc­tion de l’ex­pres­sion impos­si­ble à traduire, en général après une longue expli­ca­tion des cir­con­stances et du sens.
  • Périphrase

La poésie et les jeux de mots ren­dent en général cette tache bien déli­cate et vont jusqu’à oblig­er un tra­duc­teur d’un tal­ent au moins équiv­a­lent à celui de l’au­teur.

La voca­tion pre­mière de l’ensem­ble des textes dont il est ques­tion ici est cepen­dant sup­posée explica­tive ou allu­sive. La div­ina­tion ayant depuis l’o­rig­ine imprégné la pen­sée et l’écrit chi­nois, nous pou­vons aus­si retourn­er cela en avan­tage : la poly­sémie, la diver­sité des sig­ni­fi­ca­tions que peut recel­er un mot chi­nois peu­vent alors être con­sid­érées comme une con­stel­la­tion, un nuage ou plus pré­cisé­ment une brume de sens au con­tact desquels nous pou­vons en retour nous imprégn­er.flock-of-birds-392676

La tra­duc­tion mot-à-mot renonce alors à la sécher­esse stérile de la recherche d’équiv­a­lences pour déter­min­er un ensem­ble de cœurs de con­stel­la­tions. La brume dans la vision chi­noise est une com­mu­ni­ca­tion joyeuse, le lieu des retrou­vailles entre des mon­des dif­férents, de la révéla­tion de l’in­vis­i­ble et de l’in­com­mu­ni­ca­ble.

La pre­mière étape de ce pro­jet de “tra­duc­tion” sera donc, pour cha­cun des mots  du texte canon­ique chi­nois, la déter­mi­na­tion d’un mot français “pro­vi­soire­ment au cœur d’une brume”.

Les règles de syn­taxe, l’é­ty­molo­gie, les divers con­textes, la struc­ture numérique et géométrique des hexa­grammes sug­gèreront ensuite des regroupe­ment en expres­sions, des vari­antes, des rap­ports, des phras­es… et peut-être même un texte.

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