Le dragon n’est pas (que) chinois
En français le mot dragon vient du latin draco, issu lui-même du grec drákôn, dérivé du verbe dérkomai : “voir clair, regarder, fixer”. Son sens initial était “brillant”.
Il n’est donc, de ce point de vue, pas surprenant qu’il apparaisse au second trait de l’hexagramme 01.
龍lóng le mot chinois pour dragon est utilisé 6 fois dans le Yi Jing et uniquement dans les textes des traits des hexagrammes 01 et 02. Il est en particulier présent aux traits 1, 2 et 5, 6 de l’hexagramme 01, les traits respectivement de la Terre et du Ciel. Il n’est donc pas évoqué aux traits 3 et 4, associés à l’humain.
De nombreuses mythologies dans le monde évoquent des créatures ailées de forme reptilienne. Elles sont dotées de pouvoirs et caractéristiques plus ou moins analogues, en général en rapport avec les profondeurs et l’humide et/ou le feu, l’aérien et le lumineux : Mongolie, Chine, Japon, Corée, Inde, Grèce, Egypte, civilisations Celte et Nordique, mais aussi Maya avec en particulier le fameux Quetzalcóatl : le serpent à plumes.
En Chine, manifestation des principes terrestres et célestes – l’eau et le feu -, il est capable suivant les circonstances de plonger pour nager dans les eaux les plus profondes ou de s’élancer et voler haut dans le ciel. Maîtrisant son apparence il peut être brillant, sombre ou invisible, immense ou minuscule, et exprime ainsi l’ensemble des potentiels, toute la puissance de la nature.
Le dragon chinois n’est pas un dragon cracheur de feu : sa qualité majeure est la fluidité, qu’elle soit aquatique ou céleste, d’où son association avec l’eau et d’une façon générale le climat. Ainsi est exprimé ce qui ne se voit pas (forme yin).
Mais le climat se manifestant, il y a correspondance symbolique avec le feu : brillance du soleil ou de l’éclair dans le ciel. Ainsi est exprimé ce qui se voit (forme yang).
Homme ou dragon ?
Le dragon n’est pas cité aux traits 3 et 4 de l’hexagramme 01 (les places de l’homme dans la trilogie Ciel-Terre-Homme). Ainsi, homme ou dragon, il faut choisir… Seul l’empereur mythique Fu Xi possède à la fois les attributs humains et la queue du dragon.
Si l’on trace un trait yang aux places terrestres et célestes et un trait yin aux places centrales de l’homme, il y a apparition du vide-médian dans l’hexagramme 61 : “中孚 zhōng fú juste confiance”. Cet hexagramme peut être vu comme la version déployée du trigramme Li, dont l’image naturelle est le feu et qui possède les qualités de clarté, lucidité et éclat.
Retour au texte
…Et c’est d’ailleurs ce trigramme qui est généré par la mutation du trait 2 en bas de l’hexagramme 01. Cela nous permet ainsi de compléter et même clore notre étude mot à mot du texte du trait 2 de l’hexagramme 01…
Au trait 1 le dragon était caché… Nous avons déjà justifié la nécessité à ce niveau de ne pas se montrer et souligné tout le potentiel, toute la puissance latente. Son hexagramme dérivé (44) mentionne effectivement la puissance yin. Il était alors plus difficile d’expliquer le titre de l’hexagramme : 姤 Gòu “Accueillir, rencontre”. Nous pouvons maintenant comprendre cette “rencontre par hasard” comme les prémisses de celle qui prend place au trait 2.
Terminons également l’étude mot à mot du texte du trait 1 de l’hexagramme 01 par son dernier terme : 用 yòng “agir, utiliser, mettre en œuvre”. L’étymologie du caractère est, selon le Shuo Wen, oraculaire : il serait composé de 卜 bǔ, la divination, et de 中 zhòng, tomber juste. Voilà qui vient tout à fait correspondre à notre thème “Divination et vision juste”!
L’on retrouve également中 zhòng présent dans l’hexagramme 61 : 中孚 zhōng fú “juste confiance”, cet œil géant évoqué trois paragraphes plus haut. Cette justification étymologique est cependant peu reprise par les spécialistes et la majorité des graphies primitives qui nous sont parvenues ne semblent pas refléter cette composition…
Malgré tout, la définition qu’en déduit le Shuo Wen Jie Zi, (premier dictionnaire étymologique chinois) “Qui promet de se réaliser, qui a une potentialité d’expansion” trouve tout à fait sa place à ce trait de “puissance latente”.
La plupart des sens de 用yòng expriment l’utilisation de quelque chose en vue d’obtenir un résultat : le lien avec la divination est évident si l’on se souvient que sur les bronzes antiques, il désigne justement un vase rituel ou une cloche. Les offrandes matérialisaient un lien visible avec l’invisible (ancêtres et esprits), ou constituaient un signe de reconnaissance à des personnages méritants. Dans les deux cas il s’agit à la fois d’une démarche et d’une manifestation visible.
Au trait 1 用yòng est précédé d’une négation : il y a donc bien correspondance avec 潛 qián « caché ». D’un point de vue divinatoire cela indique que l’issue n’est pas encore pré-visible. Si l’on associe la notion d’agir à celle de présenter une offrande dans l’attente d’une réponse, cela n’interdit pas d’agir : on PEUT agir …mais il n’est pas encore garanti que cette action sera suivie d’effet !
Divination et Vision juste (10/12)
Divination et Vision juste (12/12)