Résumé du chapitre 2 de « Les deux raisons de la pen­sée chi­noise, Div­ina­tion et idéo­gra­phie » de Léon Van­der­meer­sch. (éd. Gal­li­mard).

Env­i­ron 150 000 ves­tiges de cara­paces de tortues de la péri­ode Shang ont été exhumés du site de Xiao­tun (Henan) entre 1928 et 1991. Regroupés par grandes quan­tités dans des “puits de stock­age” ils témoignent d’une part de la mul­ti­pli­ca­tion des opéra­tions de div­ina­tion durant cette péri­ode et d’autre part de leur con­ser­va­tion, vraisem­blable­ment pour véri­fi­ca­tion ou com­para­i­son. C’est l’ad­jonc­tion d’an­no­ta­tions aux craque­lures div­ina­toires qui a per­mis cette con­sul­ta­tion ultérieure, don­nant au pas­sage nais­sance à l’idéo­gra­phie chi­noise

Ces anno­ta­tions sont des for­mules orac­u­laires (卜辭 bu ci) très struc­turées com­posées de 3 par­ties prin­ci­pales éventuelle­ment com­plétées d’un ou deux post-scrip­tum. Il ne s’ag­it pas encore de phras­es naturelles mais d’équa­tions div­ina­toires de la forme :

XY x N : M -> P
(où XY = date, x = 卜, N = devin, “:” =貞, M = man­dat, -> =占, et P = pronos­tic.)

futurCette organ­i­sa­tion est rigoureuse­ment respec­tée sur des dizaines de mil­liers de cara­paces. Elle se dif­féren­cie de la sim­ple con­tigüité des pic­togrammes ornant les poter­ies néolithiques ou de la mise en scène des fig­ures de chas­se sur les murs des grottes, et révèle une véri­ta­ble syn­taxe.
Les ter­mes de ces équa­tions sont artic­ulés autour d’opéra­teurs :卜, 貞 et 占.

卜bu, le prin­ci­pal d’en­tre eux, est tout d’abord la représen­ta­tion stan­dard­is­ée d’une craque­lure div­ina­toire, abstrac­tion faite de son sens faste ou néfaste, mais égale­ment de l’ori­en­ta­tion graphique mon­tante ou descen­dante : il est donc la représen­ta­tion graphique d’un con­cept. Pour en faire un “mot” lui a été asso­cié le phonème imi­tant le craque­ment de la cara­pace : la tran­scrip­tion de la parole n’in­ter­vient donc que dans un sec­ond temps et nous pou­vons ain­si affirmer que l’écri­t­ure chi­noise a été conçue pour “exprimer directe­ment les paramètres et le résul­tat des div­ina­tions” (la posi­tion de 卜bu dans la séquence n’est d’ailleurs pas celle du verbe dans la langue par­lée).

Les deux autres opéra­teurs 貞 zhen et 占 zhan sont tous deux com­posés à par­tir de la gra­phie卜bu : pour le pre­mier elle est com­plétée de la gra­phie d’un récip­i­ent et prend donc le sens de “ce qui con­tient la div­ina­tion”, pour le sec­ond de la gra­phie de la bouche et exprime donc “ce que dit la div­ina­tion”. Se pro­duit ain­si par agré­gats une généra­tion graphique de la langue écrite, véri­ta­ble recon­struc­tion de la langue par­lée.

Les don­nées struc­turées par ces opéra­teurs appar­ti­en­nent à 3 seg­ments :

- L’in­ti­t­ulé est très con­cis et fait appel à un lex­ique très restreint : deux gra­phies géométriques d’o­rig­ines numériques indiquent le tronc céleste et la branche ter­restre du cal­en­dri­er. Puis la gra­phie卜bu indique une div­ina­tion par scapu­lo­man­cie. Le dernier car­ac­tère cor­re­spond au nom du devin.

- Le man­dat est intro­duit par la gra­phie 貞 zhen suivi de l’ob­jet de la div­ina­tion : c’est la dMétieriver­sité des ques­tions posées qui a for­cé la mul­ti­pli­ca­tion lex­i­cale. Au départ les car­ac­tères repro­duisent les pic­togrammes d’ob­jets ou êtres déjà fig­urés sur les poter­ies préhis­toriques et présents dans la langue par­lée. Mais 60% des ter­mes sont con­stru­its par com­bi­nai­son graphique de ces élé­ments de base. Le nou­veau vocab­u­laire est donc pro­duit par le croise­ment, le mail­lage de l’ex­is­tant.

- Le pronos­tic con­tient la gra­phie 占 zhan qui intro­duit ce que dit la div­ina­tion, précédé de la gra­phie 王 wang, si c’est le roi qui a posé la ques­tion, et suivi de l’ori­en­ta­tion du pronos­tic (favor­able, défa­vor­able, etc.) ou de la reprise des ter­mes de la ques­tion.

Un pre­mier post-scrip­tum affine par­fois la data­tion. Mais c’est dans un la rédac­tion d’un éventuel sec­ond post-scrip­tum que la forme écrite sort du cadre de l’équa­tion div­ina­toire pour don­ner nais­sance à la nar­ra­tion écrite : si le pronos­tic a été con­fir­mé sous une forme sur­prenante, le réc­it des cir­con­stances est alors gravé sur la pièce div­ina­toire.

Plus tard appa­rais­sent quelques réc­its sur omo­plates qui ne sont pas des con­clu­sions div­ina­toires, mais en con­ser­vent la forme et con­stituent les prémiss­es du pre­mier genre lit­téraire chi­nois : les annales.

Dès la dynas­tie Zhou les notes div­ina­toires ne seront plus inscrites sur les cara­paces mais recueil­lies dans des “cahiers” de soie qui sont cer­taine­ment les prédécesseurs du Yi Jing.

De l’idéo­gra­phie orac­u­laire à la langue graphique (Pr Van­der­meer­sch)

De l’ostéomancie à la chélo­nioman­cie (Pr Van­der­meer­sch)

CRÉDITS IMAGES (dans l’ordre d’affichage): Boule de cristal / Alain Leroy, métier à tisser.